« Fermez les yeux et
imaginez », nous disait Ginette Kolinka, ancienne déportée qui nous
faisait part de son histoire. Se mettre dans sa peau, dans la peau d’une jeune
fille de 17 ans en 1942.
Imaginer ou plutôt essayer
d’imaginer l’impensable et l’indescriptible. Imaginer son arrestation avec son
frère et son père par la gestapo. Imaginer leur captivité dans les différentes
prisons qui se sont succédées. Imaginer son voyage interminable avec 70 ou 80
personnes entassées dans un wagon de marchandises sans fenêtre et doté d’une
unique et misérable tinette. Imaginer son père, fier d’avoir caché deux
couvertures supplémentaires dans son pantalon ,ce qui
a rendu le voyage plus supportable que pour les autres. Imaginer son frère de
11 ans réclamer de la nourriture et Ginette obligée de la lui refuser car elle
ne savait pas quand l’interminable voyage prendrait fin. Imaginer le train
s’essouffler, ce qui signifie la fin du voyage et les soupirs de soulagement
dans les wagons pour ceux qui ont échappé à la première sélection
du voyage. Imaginer cette foule respirer à plein poumon l’air frais du mois
d’avril polonais, à la descente des wagons. Et déjà imaginer les cris des SS,
les aboiements des chiens, la panique, les pleurs des enfants, la peur générale
et les coups de bâton qui commençaient à tomber. Imaginer le père et le frère
de Ginette dupés par la mécanique nazie, qui n’ont pas échappé à la deuxième
sélection et qui sont montés dans le
camion car ils étaient fatigués. Imaginer Ginette qui n’a même pas eu le temps
de les embrasser une dernière fois.
Et enfin, ouvrir les yeux
car ici s’arrête son voyage et commence son indescriptible combat contre la
mort, lorsque nous arrivons à l’entrée du camp d’Auschwitz Birkenau, là où
s’arrêtent les rails.
Devant nous, une étendue
blanche et presque vierge de pas, un paysage presque agréable lorsqu’on ne sait
pas.
Nous rencontrons les ruines
et les baraquements, la voix de Ginette continue à résonner à travers les
souvenirs de sa viede jeune fille prématurément interrompue.
A la fin de ces rails, la déshumanisation va
réellement commencer. Tout d’abord l’humiliation croissante, de se montrer nu
devant ses hommes en noir et ces centaines de femmes inconnues. Puis le
tatouage dont elle ne ressent même pas la douleur, tétanisée par la peur, et ce
numéro qu’elle n’oubliera sûrement jamais. La tonte des cheveux à laquelle elle
aura la chance d’échapper car elle n’a pas de poux ; la douche glacée d’à
peine une minute, la distribution de haillons en guise d’habits et les sabots
de bois qui n’étaient évidemment pas à sa pointure.
Durant notre cheminement à
travers les baraquements, les latrines, les chambres à gaz en ruine, il faut
refermer les yeux. Et s’imaginer la faim au ventre durant l’hiver glacé, la
soif du mois d’août, les brimades continuelles, la peur de mourir, l’odeur de
la chair humaine brûlée et l’espoir que ce cauchemar prenne fin avant que la
prochaine sélection ne vous soit fatale.
Et dans nos têtes résonne
une phrase trop souvent entendue dans « Nuit et brouillard » :
«Je ne suis pas responsable, dit le kapo, je ne suis pas responsable, dit le
SS, je ne suis pas responsable, dit le directeur du camp, nous n’avons fait
qu’obéir aux ordres » Mais qui est
donc responsable de toutes ces atrocités ?
Aujourd’hui, l’heure n’est
plus à la recherche du responsable mais à l’hommage aux victimes, à la
perpétuation du souvenir et à la promesse de ne jamais oublier pour que jamais
cela ne recommence.
Auschwitz le plus grand cimetière
du monde…mais il n’y a pas de tombe