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L'ART ET LA SHOAH

 

Amandine Bardou - Charlotte Bax

 

Introduction

I- Etre artiste dans un camp

            Boris Taslitzky

                        * Analyse d'une oeuvre: Le petit camp à Buchenwald

            Serge Smulevic

            Zber

 

II- L'art comme témoignage

            Transcender la souffrance, deux visions de l'horreur :

                        * Le réalisme : Léo Haas

                        * Le surréalisme : Max Ernst, Hans Bellmer, Wols

            Zoran Music "Nous ne sommes pas les derniers"

 

III- Les jeunes générations

            La bande dessinée au service de la mémoire

                        * Pascal Croci, Auschwitz

                        * Art Spiegelman, Maus

            Les oeuvres "in-situ"

                        * Jochen Gerz

                        * Christian Boltanski

                        * Shimon Attie

Conclusion

Sources


 

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Léo Haas, Theresienstadt, 1943

Le dictionnaire donne pour définition à l'art : " L'ensemble des activités créatrices par lesquelles on exprime sa sensibilité et son sens de la beauté. ". Seulement, lorsqu'on aborde des sujets tels que l'art et la Shoah, le terme de " beauté " est complètement déplacé. L'horreur de la déportation s'est vue rapportée par des oeuvres graphiques que ce soit au sein même des camps ou après la libération. Dans cette représentation de l'art, et tout au long de la déportation, deux périodes se sont distinguées : concentrationnaire et post-concentrationnaire.

En quoi l'art graphique contribue-t-il à la mémoire de la Shoah?

Dans un premier temps, nous aborderons le sujet de la vie des artistes avec plus précisément celle qu'ils ont mené dans les camps. Ensuite, nous nous pencherons sur l'art comme témoignage, en plus de l'expression d'une douleur. Puis enfin le thème de l'art et les jeunes générations qui contribuent elles aussi à la perpétuité de la mémoire de la Shoah.

 


 

 

I- ETRE UN ARTISTE DANS UN CAMP :

La vie des artistes que ce soit à l'intérieur même des camps ou à l'extérieur se distingue de celle des autres hommes. Le don qui leur a été donné permettra à bon nombre d'entre eux d'échapper au destin tragique que leur promettaient les camps. Voici deux exemples de ces hommes qui ont su exister grâce à leur art.

a) Biographie de Taslitzky :

Boris Taslitzky voit le jour le 30 septembre 1911 à Paris. Ses parents, d'origine russe, se sont réfugiés en France après l'échec de la Révolution de 1905. Sa mère meurt en déportation à Auschwitz.

            A 17 ans, Boris entre à l'Ecole nationale des Beaux- Art de Paris. Fin 1933, il rejoint le Parti communiste. Le 2 mars 1937 paraît le premier numéro du journal communiste Ce soir. Jouis Aragon et Jean-Richard Bloch chargent Taslitzky d'en faire les dessins d'illustration.

Mobilisé le 26 août 1939, le soldat Boris rejoint le 1O1e d'Infanterie à Meaux. Après son évasion suite à un emprisonnement, il s'engage activement au sein de l'organisation " Front national de lutte pour la libération et l'indépendance de la France " jusqu'au 13 novembre 1941, date de son arrestation. Le 11 décembre 1941, il est condamné à deux ans de prison par un tribunal militaire pour avoir " effectué plusieurs dessins destinés à la propagande communiste ".

Après son jugement, Taslitzky est dirigé sur la maison centrale de Riom dans le Puy-de-Dôme. Le 23 juillet 1943, il est transféré sur la prison de Mauzac en Dordogne. A la fin de sa peine, il est conduit au centre de séjour surveillé de Saint-Sulpice-Ia-Pointe dans le Tarn. Là, il peint de grandes fresques d'inspiration révolutionnaire sur les cloisons en planche de cinq des baraquement du camp. L'archevêque de Toulouse fournissant la peinture, il accepte même de décorer la chapelle, à la demande de certains de ses camarades.

Le 30 juillet 1944, remis aux Allemands avec 622 autres internés, Boris Taslitzky quitte le camp français de Saint-Sulpice pour Buchenwald. A l'arrivée dans le camp et à la vue des détenus en haillons rayés, sa première pensée s"exprime ainsi: " Il faut que je dessine cela. ". Il comprend que le fait de dessiner constitue l'un des moyens de lutte contre la déshumanisation voulue par les SS. Il montre l'indicible, le triomphe de la mort. Roger Arnoult, l'un des dirigeants de l'organisation clandestine, aide Boris à planquer la centaine de dessins réalisés. A sa libération du camp, Christian Pineau, rapatrié en priorité, les remet à Aragon qui les réunit dans un album et les publie en 1946 sous le titre : Cent onze dessins faits à Buchenwald.

L'engagement politique de Boris Taslitzky, " peintre réaliste à contenu social ", est indissociable de son oeuvre picturale. Son opposition à la guerre le conduit en Algérie, juste avant le conflit et la lutte pour l'indépendance.

En 1971, il est nommé professeur à l'Ecole nationale supérieure des Arts décoratifs à Paris. Le 7 mars 1997, Boris Taslitzky reçoit les insignes de chevalier de la légion d'honneur au titre de la Résistance et de la déportation.

            Analyse d'image

     L'analyse de quelques éléments constitutifs d'un tableau nous permettra de distinguer les différents éléments ainsi que d'observer leur possible signification.

Nous avons choisi un tableau de Boris Taslitzky intitulé : Le petit camp à Buchenwald.

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Cette huile sur toile de 1945 fut réalisée de mémoire par le peintre après sa libération, en s'aidant de dessins clandestins faits à l'intérieur du camp. Nous avons choisi ce tableau qui attira notre attention ; vif en couleurs il se distingue des autres oeuvres. En effet, les dessins ou tableaux concernant les camps et la déportation ont souvent été traduits par des couleurs grises et tristes. Les artistes, qu'ils aient été déportés ou non, établissent toujours une relation de cause à effet entre la déportation et la grisaille.

Les éléments ou axes plastiques sont les formes, la composition et les couleurs.

1) Formes et composition:

En simplifiant le tableau par des formes géométriques ou lignes fondamentales ; cela permet de mettre en évidence son expression et celle voulue par l'auteur, sans pour autant le réduire uniquement à un simple schéma ou croquis.

On remarque donc en premier lieu que le tableau est coupé en deux par une ligne horizontale. Elle sépare environ aux deux tiers une " masse " informe de personnages décharnés sortant ou s'engouffrant en file dans les baraquements, les morts se confondants aux vivants. Ceci est la représentation d'un véritable chaos.

Au premier plan, un enfant dans l'angle droit du tableau observe une dépouille se trouvant devant lui.

A gauche, deux chiens bondissent au milieu des cadavres. Des hommes du SonderKommandos sont occupés à leur terrible tâche, entassant les corps. Ils concentrent toute l'activité du tableau au contraire des autres déportés attendant la mort, ce sont les seuls personnages actifs.

Au second plan un gradé allemand, caractérisé par son uniforme surveille la scène. Passif, il fume et tient une arme dans sa main droite. Il représente la menace et le pouvoir. Sa main gauche appuyée sur la hanche, il se veut une allure forte et impressionnante. Néanmoins il demeure écrasé par la scène ; il n'est pas mis en évidence ni par sa taille, identique à celle des autres personnages, ni par sa place dans le tableau.

En second lieu, les baraquements du camp dans la partie supérieure du tableau obstruent la vue du spectateur, isolant la scène du monde extérieur. Ils forment un mur, une barrière infranchissable et imposante ; ils semblent illimités, à perte de vue.

De plus de grandes diagonales construisent le tableau. Ces lignes de fuites, formées soit par la file de déportés soit par le toit des baraquements, se rejoignent dans un vague horizon imperceptible. Un homme debout, les mains dans les poches, le regard vide et lointain forme l'élément central de l'oeuvre.

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Plus que les autres, il semble impossible de définir son état. Est-il mort ? Sa chemise entrouverte laisse apparaître un cou squelettique. Il semble tout de même encore plein de dignité. Ou est-il seulement résigné ? Devant lui se trouve un chariot, utilisé pour transporter les corps. Ces deux éléments semblent séparer les déportés en guenilles et l'entassement des cadavres. Lui non plus ne fait rien, il est le lien entre la souffrance de la vie et le répit si attendu des morts, il ne lutte plus.

Au premier plan au centre du tableau, le sol est vide ; comme un appel, une " invitation " à regarder le tableau. En effet, comme pour les images filmées, l'action vient toujours du vide.

Il n'y a donc aucun axe vertical dans l'image, aucune élévation vers le ciel. Les lignes verticales qui constituent l'oeuvre sont les pyjamas rayés des déportés ainsi que les planches en bois des baraquements. On constate une analogie entre ces rayures et les côtes des personnages. De plus, la rayure n'est jamais neutre. Elle est généralement le symbole de la négation, l'action de rayer, barrer quelqu'un ou quelque chose permet soit sa mise en valeur,  soit son élimination.

De plus, le cadre du tableau se présente comme une fresque, il est plus long que large. L'action est figée dans le temps.

2) Les couleurs:

Les couleurs déclinent une variation de tons simples tels que le rouge, le vert et le jaune ; associés au sang, à l'espérance et à la lumière. Ces tonalités vives et fiévreuses renforcent la violence du tableau. Le contraste entre celle-ci et la teinte blanchâtre des corps squelettiques est poignant. Le ciel n'est pas non plus anodin, il est peint de rouge et jaune et porte les couleurs de l'enfer, du feu. Le blanc représente la fin d'une lutte, la liberté, l'innocence.

Cela est peut-être pour le peintre une façon de mettre en valeurs les morts qui n'ont pas pu survivre à la barbarie nazie, leur rendre hommage. Boris Taslitsky a-t-il voulu faire naître chez le spectateur un sentiment de reconnaissance ? En colorant autant son tableau, il fait de son oeuvre une révolte, une réelle atteinte au gris ou noir conventionnel de l'univers mortuaire.

Il représente l'inimaginable, l'indicible et révolutionne alors la représentation de la Shoah.


 

 

b) Biographie de Serge Smulevic :

Serge Smulevic est né le 6 avril 1920 à Varsovie dans une famille plutôt modeste avec un grand-père ancien enseignant d'Hébreu, et un autre rabbin. Arrivés en France en 1923, ses parents ouvrent un commerce de chemiserie. Après ce premier déplacement, ils firent encore le voyage jusqu'à Petite-Roselle puis Thionville et enfin Nice où ils moururent tous les deux. Serge Smulevic fit ses études aux Beaux-Arts de Strasbourg de 1935 à 1939, d'où il fut diplômé.

Il entra dans la Résistance dans les FTP à Grenoble en 1942. Il y fut arrêté pour avoir donné des faux papiers qu'il fabriquait lui-même aux enfants. Peu après, il fut déporté au camp de Drancy[1] ce qui lui valu de découvrir l'horreur des trains de déportation, puis le tri des SS, le rasage et le tatouage. En d'autres termes : la déshumanisation.

Voici son témoignage sur sa vie dans le camp :

" Il me vint alors l'idée de m'adresser à l'un de ces " privilégiés " pour lui demander s'il voulait que je lui fasse son portrait afin qu'il puisse l'envoyer à sa famille (puisqu'ils avaient le droit de correspondre, tout comme ils avaient le droit de recevoir des colis ). [...] Je crois que je n'ai jamais aussi bien réussi un portrait que celui-là [...] et comme je pouvais faire cela que le soir après la distribution de la soupe, cela pris un certain temps. Et cela se traduisit par un quart de pain. Quelle aubaine ! Puis ce fut le tour d'un autre de ces messieurs, et petit à petit, j'accumulais de la nourriture [...] A tel point que le chef du block à qui j'avais également tiré le portrait m'autorisa à disposer d'une petite armoire [...] Des privilégiés et des chefs de blocks voisins vinrent très régulièrement me demander de faire leur portrait et me payèrent en nourriture. Les uns un peu plus, les autres un peu moins.

Et c'est là que l'on commença à m'appeler " der Mahler " c'est-à-dire le peintre ou le dessinateur. Il y en a qui me demandèrent même de leur dessiner leur maison en la décrivant minutieusement. [...]

            Je dois avoir fait au moins une bonne centaine de dessins, ou plus, ce qui représente pas mal de travail et pas mal de rentrée de nourriture supplémentaire. [...]

            L'important c'est que j'ai pu partager ce que je recevais avec trois de mes amis [dont deux survécurent] [...].

J'ai pu en faisant ainsi des centaines de portraits et autres dessins, éviter de voler et de trafiquer, car j'ai utilisé au camp mes facultés de bon dessinateur de cette façon là, et cela m'a sauvé la vie à coup sûr. [...] Tout le monde n'a pas eu le privilège de vivre ainsi au camp, et j'en suis très conscient. Le fait de travailler très dur comme forçat toute la journée, mais de savoir qu'après être rentré le soir, après l'appel et la soupe, j'allais pouvoir dessiner et être payé en nourriture a été tellement encourageant pour moi, moralement (et physiquement bien sûr) que ma vie au camp et à l'usine s'en sont ressentis profondément. "

Avec l'approche des Russes, les déportés de Drancy [Auschwitz, cf. note 1] furent déplacés jusqu'à Dachau où ils furent libérés par les Américains. Serge Smulevic retourna donc en France mais il se trouva sans rien : ni travail ni famille puisqu'elle avait été gazée. Il partit donc pour Bruxelles où il trouva un travail de chef de publicité à l'agence Havas. Il se maria et eut des enfants. Sa fille devint peintre elle aussi. Serge retourna en France en 1979.

Les dessins de Serge Smulevic ont été importants dans le témoignage auxquels ils contribuent. Mais il fit également des dessins pour témoigner au procès d'IG-Farben à Nuremberg. Il en réalisa d'autres pour le procès Papon.

 

Dessins réalisés par Sala, fille de Serge Smulevic, en 2004

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La marche de la mort

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Le survivant

Dessins réalisés par Serge Smulevic pour le procès d'IG-Farben à Nuremberg après la demande de Mr Hoffstein présent au procès.

 

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Dessin de Serge Smulevic lors du procès Papon

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c) Zber:

Zber, de son vrai nom Fiszel Zylberberg, naquit en 1909 en Pologne. Après avoir étudié les Beaux-Arts à Varsovie, il émigra à Paris en 1936 où il fut arrêté lors d'une rafle, le 14 mai 1941. Interné au camp de Beaune-la-Rolande, puis transféré dans celui de Pithiviers, il fut finalement déporté à Auschwitz le 17 juillet 1942.

            Durant son incarcération à Beaune-la-Rolande, il a réalisé les portraits de ses compagnons de détentions. C'est grâce à cela que Zber a pu survivre jusqu'à son gazage le 26 octobre 1942.

            Ces dessins se trouvent maintenant, suite à un don, conservés à Paris au musée d' Art et d 'Histoire du judaïsme.

Les conditions de vie dans les camps n'étaient pas des plus faciles. L'humiliation, les maladies, la mort, l'horreur, c'est tout ce qu'ont vécu ces hommes et femmes et ça leur est inoubliable. Mais la mémoire des autres n'a pas été aussi marquée...‚'est pourquoi ils ont ressenti le besoin de témoigner afin que personne n'oublie ce qu'il s'est passé.

 


 

 

II- L'ART POUR TEMOIGNAGE :

Malgré la répression et la torture, l'art graphique ne cessera d'exister durant la période concentrationnaire. Bien que clandestines, de nombreuses oeuvres (croquis, portraits, peintures, gravures) seront produites dans les camps. La plupart ont été retrouvées lors de la libération dans les cachettes au sein même des camps ou sur des détenus qui les conservaient souvent au péril de leur vie.

Zoran Music, Max Ernst, Serge Smulevic, Boris Taslitzky ... pour ne citer qu'eux, ont ressenti, certains très vite d'autres plus tard, la nécessité de témoigner, prouvant ainsi que si l'on ne réchappe pas tout à fait des camps, on peut néanmoins tenter de les représenter.

a) Transcender la souffrance : deux visions de l'horreur:

Le réalisme:

Le réaliste s'intéresse à la nature et aux hommes tels qu'ils sont eh réalité et non idéalisés.

Malgré toute l'horreur vécue, Léo Haas réussit à transmettre ce qu'il voit sur ses dessins de manière réaliste. Et pourtant, il est un exemple de persécution des artistes dans les camps de concentration. Dessinateur de presse interné dans les camps pendant la totalité de la guerre, il a survécu à Thérésienstadt, Auschwitz, Sachsenhausen et Mathausen. Il fait partie de ces artistes clandestins qui, malgré la répression et même la torture, sont parvenus à conserver leur dessins dans des cachettes. Léo Haas survécut aux camps et après la libération il parvint à récupérer ses dessins dans la cachette dont il avait soigneusement relevé l'emplacement.

Ses dessins sont simples, dépourvus de couleurs et de graphisme grossier. Cependant, lorsqu'il dit : " Mes moyens étaient trop limités et mon papier trop faible pour accepter tout ce que je voyais et ce que j'éprouvais ", on comprend alors que son témoignage de l'horreur des camps est fait avec force.

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Dessins de Léo Haas

 

Le surréalisme :

Le surréalisme, né après la Première Guerre mondiale, se dresse contre toute forme logique, morale, sociale et leur oppose les valeurs du rêve, de l'instinct, du désir et de la révolte dans l'expression du " fonctionnement de la pensée ".

Parmi les artistes rescapés des camps, ceux qui ont choisi le surréalisme sont les plus nombreux, peut-être parce qu'il est impossible d'imaginer les camps où tout simplement parce qu'ils dessinaient ainsi depuis leurs débuts.

Max Ernst est un des grands peintres du XXème siècle, né à Bruhl (Rhénanie) en 1891. Il s'installe à Paris dès 1922 et devient l'un des membres du groupe surréaliste : il s'y distingue par ses collages et ses décalcomanies où le rêve y est de loin plus fort que la réalité.

Max Ernst dessine beaucoup au camp des Milles de curieuses créatures faites de limes. Il intitule l'un d'entre eux Les Apatrides. Rappelons que beaucoup de ces artistes juifs allemands ont perdu leur nationalité : ils sont " apatrides " (sans patrie). On peut voir aussi un clin d'oeil dans le dessin des limes, l'outil fantasmagorique du prisonnier.

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Les Apatrides

Tête de femme sur une tour

Les yeux du silence

Max Ernst travaille en compagnie de Hans Bellmer. Certains dessins sont même faits à deux.

Hans Bellmer naît à Katowice en Silésie en 1902. Il quitte définitivement l'Allemagne en 1938 pour vivre à Paris comme dessinateur et graveur. Dans le Midi de la France, au cours de l'été 1939, il est interné au camp des Milles. Les oeuvres de Hans Bellmer ont souvent la brique pour élément de base tel que dans son oeuvre Tête de femme sur une tour. Il faut savoir que le camp était logé dans une ancienne tuilerie-briqueterie.

Alfted Otto Wolfgang Schuize dit Wols, quant à lui, naît à Berlin en 1913. Il s'intéresse très tôt à la photographie et suit une formation artistique. En 1932 il rencontre Max Ernst, Miro et d'autres au cours d'un premier séjour à Paris. Il fréquente le milieu surréaliste. Tout en commençant à peindre des aquarelles, il devient peintre de métier. En septembre 1939, il est interné au camp des Milles comme ressortissant allemand. Les nombreux dessins de Wols fourmillent personnages bizarres dans un environnement qui se dérègle. Il en ressort une inquiétude foisonnante, comme celle d'un mauvais cauchemar. L'un de ses dessins La Puce évoque une plaie des camps : les parasites. L'artiste vit très difficilement son enfermement.

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Le camp gardé

La Puce

Wols

Le surréalisme est l'extériorisation de tout un vécu difficile à travers le papier et le crayon ou le pinceau. Ces images invraisemblables sont le reflet de ces expériences traumatisantes et inoubliables.

Certains artistes ont pu, armés de leur charbon de bois, prendre sur le vif des scènes d'horreur et prendre note d'actes de dégradation commis sur les détenus. Chacun pouvait alors à sa manière, selon son point de vue, apporter au témoignage commun et à tous les détenus et victimes des nazis.

Les oeuvres de ces survivants, aux démarches artistiques diverses, furent peu à peu proposées au public par le biais d'exposition. Cette présentation publique, qui témoigne et dénonce les atrocités nazies ; devient un véritable lien entre l'artiste et le monde qui l'entoure et amorce alors tout le travail de transmission de la mémoire.

b) Zoran MUSiC  : exposition " Nous ne sommes pas les derniers " (1970-1975)

" Camarade, je suis le dernier ", avait crié un détenu, pendu avant la libération du camp d'Auschwitz.

" Nous ne sommes pas les derniers ", lui répond Zoran Music en 1970 en choisissant ce titre pour l'exposition de ses dessins.

Zoran Music, peintre de renommée internationale est né en Dalmatie (alors Empire d'Autriche-Hongrie, aujourd'hui Croatie) en 1909. Il fait ses études à l'école des Beaux-Arts de Zagreb, puis voyage en Italie, en Espagne, à Paris. Accusé d'appartenir à la Résistance, il est arrêté à Venise en 1944 par la Gestapo. Déporté à Dachau, il réalise au risque de sa vie, une centaine de dessins décrivant ce qu'il voit : les scènes de pendaison, les fours crématoires, les cadavres empilés par dizaines, c'est-à-dire l'indescriptible. A son retour, après des séjours à Venise et en Suisse, il s'installe à Paris en 1952. Il cherche à effacer l'horreur de sa mémoire, rêve, poésie, joie de vivre irriguent alors son oeuvre. Mais la vision des cadavres s'impose à lui comme un sujet sur lequel il faut revenir et il se remet à dessiner. Les souvenirs de déportation resurgissent ; il continue alors son oeuvre.

Ecrits et propos de Zoran Music, Biographie, 1981

" Dachau, 1945,

Je commence timidement à dessiner. Le moyen, peut-être, de m'en sortir. Dans ce danger, j'aurais peut-être une raison de résister. J'essaye d'abord en cachette, dans le tiroir de mon tour, des choses vues chemin faisant en me rendant à l'usine : l'arrivée d'un convoi, le wagon à bestiaux entrouvert et les cadavres qui débordent. Le voyage a duré un mois, davantage peut-être, sans aliments, sans boissons, tout hermétiquement bouclé. Quelques survivants devenus fous hurlent, les yeux exorbités.

    Plus tard, je dessine au camp même. Les jours passent... Et me voilà aux dernières semaines, du camp, le danger d'être découvert a un peu diminué. Je parviens à dénicher, dans l'usine, du papier et de l'encre.

Je dessine comme en transe, m'accrochant morbidement à mes bouts de papier. J'étais comme aveuglé par la grandeur hallucinante de ces champs de cadavres.

Et la hantise de ne point trahir ces formes amoindries, de parvenir à les restituer aussi précieuses que je les voyais, réduites à l'essentiel. Comme broyé par je ne sais, quelle fièvre, dans le besoin irrésistible de dessiner afin que cette beauté grandiose et tragique ne m'échappe pas. Chaque jour, je n'étais en vie que pour la journée, demain il sera trop tard. La vie, la mort, pour moi tout était suspendu à ces feuilles de papier.

Mais ces dessins, les verra-t-on jamais? Pourrai-je les montrer ? Sortirai-je vivant d'ici ? Nous savions qu'il avait été décidé d'anéantir ce camp, et nous dedans.

J'ai appris à voir les choses d'une autre façon. Dans ma peinture même, plus tard, ce n'est pas que tout ait changé radicalement. Ce n'est nullement par réaction contre l'horreur que j'ai redécouvert la félicité de l'enfance. Petits chevaux, paysages de Dalmatie, femmes de Dalmatie, ils étaient là bien avant. Seulement, après, il m'a été donné de les voir autrement. Après la vision de ces cadavres dépouillés de toute marque extérieure, de tout superflu, débarrassés du masque de l'hypocrisie et des distinctions dont s'agrémentent les hommes et la société, je crois avoir découvert la vérité terrible et tragique qu'il m'a été donné d'atteindre. [...]

Quand je suis revenu à Venise en 1945, j'ai commencé à peindre des paysages et des chevaux. Je sortais d'un trou noir, il me fallait de la lumière et de l'espace. Puis un long travail intérieur a commencé, à Paris. Quand je suis arrivé, dans les années 50, je me suis trouvé parmi tous ces grands maîtres abstraits : Wols par exemple. ... L'abstraction était une chose définitive, la seule juste et vraie. Mais je ne savais pas comment m'en approcher. Elle est peu à peu devenue un métier.

Entre 1962 et 1970, je n'ai plus fait que dessiner, sans peindre... je savais que ça devait sortir, je ne savais pas comment. "

De 1970 à 1975, Zoran Music revient à Dachau, dans les murs même où il fut enfermé de 1943 à1945. Il peint et grave alors une série de seize oeuvres regroupées sous le nom de " Nous ne sommes pas les derniers ". Il expose ensuite un peu partout en Europe au cours de la décennie 1990. L'exposition est faite de rares dessins, sauvés de la destruction, réalisés quelques mois avant sa libération. Elle invite à une traversée de toutes les périodes et de tous les thèmes de l'artiste : un cycle poignant des débuts à la vieillesse, de l'innocence candide à l'expérience de l'horreur.

Il est le premier peintre à être exposé de son vivant par le musée d'Art moderne de la ville de Paris en 1972. Il a, depuis, fait l'objet d'importantes célébrations au Centre Pompidou, au Grand Palais ou encore à Venise. Le musée Jenisch de Vevey présenta du 15 juin au 21 septembre 2003, une rétrospective du peintre.

Les oeuvres de Zoran Music furent présentées au public. Etrange et douloureuse exposition, elle bénéficie de cimaise (pour exposer, mur propre à recevoir des tableaux dans une galerie ou un musée) d'un gris suave et d'une lumière égale. Dans une salle ronde, sont réunis l'ensemble des dessins de Dachau, exécutés en cachette sur du papier de mauvaise qualité avec de l'encre et des crayons volés. Il n'en demeure qu'une trentaine sur la centaine que Music accumula pendant l'hiver 19441945. Les autres furent brûlés ou disparurent au moment de la libération du camp.

Sur la plupart de ces croquis : des corps réduits à des squelettes sont allongés sur le sol ou dans des cercueils rudimentaires. Pour gagner de la place et parce que ces momies n'ont plus de poids, deux cadavres sont rangés tête-bêche. Les têtes sont des crânes auxquels il reste encore des yeux et ces yeux morts deviennent immenses, parce qu'il n'y a plus de chairs et plus de cheveux. Le regard ne voit plus que cela, des files de cadavres renversés qui emplissent l'espace, qui ne laissent aucun répit à la vue, qui obstruent l'horizon.

La seconde moitié de la rétrospective rassemble des toiles, visions transformées et épurées par la mémoire, visions spectrales :

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Les bouches édentées des morts crient dans la nuit qui monte. Les corps ont disparu dans l'obscurité, que des visages crispés et des yeux creux. Il ne reste qu'obsession dont il est difficile de se défaire ensuite.

Le dessin est très simple : de fines lignes tracent les contours de ces formes que la maigreur a rendues anguleuses et hérissées de pointes. Quelques hachures et estompages suggèrent les ombres par endroits. La main ne tremble pas, elle note ce qui était devant le dessinateur, à quelques pas de lui.

Avec des bâtons de fusain et des couleurs terreuses et éteintes, Music a tenté l'impossible et affronté l'épouvante absolue. Ces oeuvres sont un témoignage exceptionnel de la déportation, et expriment parfaitement la douleur et la souffrance endurée. Sa peinture touche au plus profond de l'être.

Les artistes déportés transmettent l'histoire de la déportation. Ils portent témoignage et restituent au monde l'image inimaginable des camps par l'exposition de leurs oeuvres, dénonçant une vie quotidienne insupportable sous le fléau nazi. Ils contribuent à inscrire leur vécu dans la mémoire universelle et encouragent alors à la réflexion par le biais de l'art.

Mais qu'arrivera-t-il, lorsque les derniers témoins auront disparu ? Les descendants se sentent déjà concernés à perpétuer le témoignage et associent à la simple consignation des faits une méditation philosophique et morale. Ils invitent ainsi les générations n'ayant pas vécu à cette époque à prendre conscience de leur rôle de nouveaux témoins, véhiculant peut-être à leur tour un désir de transmission.

 


 

III- LES JEUNES GENERATIONS

De la toile à la gravure, à l'affiche, la bande dessinée, la photographie, le photomontage, ou le montage vidéo... en passant par la performance ou l'oeuvre in-situ ; les thèmes, les formes et les moyens sont presque inépuisables.

            a) La bande dessinée au service de la mémoire

La bande dessinée, cet art prétendu mineur, se frotte volontiers aux évènements majeurs. Même si la Shoah reste pourtant une exception.

1) AUSCHWITZ, Pascal Croci

Pascal Croci est né en 1961 et vit actuellement en Aveyron. Il s'est consacré pendant dix années à la bande dessinée historique et religieuse pour divers magazines. Après avoir vu ou revu plusieurs documentaires ou films sur la déportation, il publie en 2000 une bande dessinée réaliste qui représente Auschwitz de manière moins symbolique, il l'intitule Auschwitz.

Cet album lui a demandé cinq ans de travail en raison de la documentation mais surtout de la recherche d'un éditeur, car peu d'entre eux voulaient se risquer dans cette aventure. Un débat fut alors engagé : peut-on faire des camps le décor graphique d'une fiction?

En effet, ce document-fiction fourmille de réalisme : poupée abandonnée, déporté qui doit sa survie aux dessins qu'il esquisse sur le courrier des officiers nazis, interminables séances d'appel du camp, " travail " terrible du SonderKommandos...Ce récit met en scène Kazile et Cessia, un couple ayant survécu au camp d'Auschwitz-Birkenau, et qui se remémorent prés de cinquante ans plus tard ce qu'ils ont vécu chacun de leur côté. A travers leurs yeux est suggérée toute l'horreur de la déportation : l'attente de la mort à l'entrée des chambres à gaz, les expériences de Mengele...

Par pudeur et pour rester dans une atmosphère grave, proche de celle d'Auschwitz, il a dessiné cette histoire en noir et blanc. Son dessin, crayonné puis légèrement encré, reste malgré tout très beau. Il offre la vision de corps et de visages défaits, exsangues, aux yeux gigantesques.

" On ne voyait d'abord que les yeux dans le visage des déportés qui revenaient de l'enfer ", souligne un des témoins interrogés par l'auteur.

" Je voulais un rendu réaliste en noir et blanc, sans effets de style. Mon premier souci, plus que la reconstitution historique, a été d'éviter tout voyeurisme. Je n'ai pas représenté visuellement de fours crématoires. J'ai préféré me mettre à la place d'un déporté qui voit la fumée et qui sent l'odeur de la mort en permanence. Quant à la scène de la découverte des corps dans la chambre à gaz, le personnage comme le lecteur, se sent écrasé par cette incroyable vision d'horreur.

J'avais aussi l'angoisse de refaire les mêmes images. Il y a de la brume partout une atmosphère pesante, je ne voulais pas montrer l'horizon pour que le lecteur pénètre dans un endroit intemporel. Cette représentation est proche des souvenirs des témoins. Pour eux, Auschwitz c'est un lieu froid, brumeux où règne la mort. Cependant je n'ai pas été graphiquement fidèle à certains détails historiques : par exemple les armes. Le lecteur sait que cet objet sert à tuer, cela suffit. "

Pascal Croci nous pousse à réfléchir au fait que cela puisse se reproduire, notamment en faisant réapparaître les deux personnages en 1993, en ex-Yougoslavie où ceux-ci sont emprisonnés, accusés de trahison politique. Ainsi l'album ne ravive donc pas seulement la mémoire, mais la lie aussi à l'actualité la plus récente.

Même si cette histoire est une fiction, elle est, bien sûr, inspirée de témoignages recueillie par l'auteur auprès de personnes ayant survécu à cet, hélas, célèbre camps de la mort. Tous ces témoins, tous ces survivants, avouent eux-mêmes avoir ressenti a priori quelque méfiance à l'égard du traitement d'un tel sujet par la bande dessinée. Mais l'approche de l'auteur et de l'éditeur, le réalisme très documenté du récit, le souci d'authenticité et enfin la confiance établie entre les divers protagonistes ont été les plus forts. " Je ne suis ni historien ni documentaliste, j'ai voulu être le témoin de mes témoins ", affirme-t-il en citant à la fin de l'album plusieurs de ceux-ci tels que Kaziemierz Kac, qui sert de fil conducteur au récit sous le nom de Kazik... Il rajoute même des extraits d'entretiens qu'il a eu avec eux.

Avant tout cet album était surtout un devoir de mémoire.

Néanmoins Pascal Croci ne double pas le récit d'interrogations personnelles, pas plus qu'il ne met en scène sa propre histoire, contrairement à Art Spiegelman, auteur de Maus.

En effet l'oeuvre reflète avant tout la personnalité de l'artiste, la façon dont il est influencé par les événements. La construction d'une oeuvre est toujours orientée par des émotions, des idées.

2) MAUS, Art Spiegelman

Maus n'a rien d'une bande dessinée ordinaire. Il faut dire que son auteur n'a lui non plus rien d'ordinaire: né à Stockholm en 1948, il est vu comme un dessinateur d'avant-garde avant de collaborer avec le New York Times, entre autres. Certaines de ses oeuvres ont même eu les honneurs du MOM (Museum of modern art) ce qui n'est pas rien. Maus est pour Spiegelman celle de sa consécration, cet album demandera treize années d'efforts.

Il se décline en deux volumes :

1) Mon père saigne l'histoire

2) Et c'est la que mes ennuis ont commencé

 

LEAD Technologies Inc. V1.01

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L'injonction " zakhor ! ", " souviens-toi " en hébreu, a guidé l'élaboration de ce chef-d'oeuvre. Tel un architecte, le dessinateur part à la recherche de ses origines. Elle met son auteur à nu et dévoile des tranches de son propre passé en même temps qu'il choisit de nous raconter l'histoire de ses parents, survivants des camps de la mort. Il commence son histoire par une anecdote, lourde de signification. Art a dix ans et suite à une chute en patins à roulettes, ses amis l'abandonnent. Rentrant chez lui en pleurs, son père lui répondra : " tes amis? Enfermez-vous toute une semaine dans une seule pièce sans rien à manger, alors tu verra ce que c'est les amis! "

L'auteur fait aussi part au lecteur des difficultés suscitées par le projet.

       Dès 1979,le décor est planté: les Juifs sont des souris, les nazis sont des chats féroces et sauvages aux canines luisantes, les Français sont des grenouilles, les Américains des chiens et les Polonais des cochons. Chaque catégorie de population est reconnaissable au premier coup d'oeil, un peu finalement comme à l'époque avec les étoiles jaunes ou les codifications par triangles dans les camps. Lorsqu'il y a falsification d'identité, c'est un masque qui apparaît sur les visages des personnages.

Art Spiegelman rend visite à son père dans la maison familiale à New York et lui demande de lui raconter son histoire. Celui-c,i malade du coeur, s'exécute et raconte sa vie dans sa Pologne natale, la rencontre avec Anja la mère de Art, la montée du nazisme son engagement dans l'armée polonaise, la guerre, et enfin l'horreur des camps. Tout cela représente des heures de conversation, de récits, de portraits. C'est toute la Pologne des années noires qu'on parcourt avec ces petites souris qui luttent pour survivre.

Le trait de Spiegelman est simple, plutôt épais. La représentation en noir et blanc, très sobre peut rebuter. Cependant l'oeuvre présente une esthétique particulière : nulle foison de détails, nul souci de véracité historique.

Néanmoins, peut-être plus que l'holocauste, ce sont les rapports père/fils qui sont centraux dans Maus. Le père, Vladeck Spiegelman apparaît comme un être traumatisé mais acharné à vivre, comme si, finalement, il n'avait jamais quitté les camps. Jusqu'à sa mort en 1982, il a continué à gémir dans son sommeil.

Une profonde incompréhension existe avec son fils et même au-delà avec l'humanité toute entière. On peut se demander si, en extrémiste de la survie, Vladeck S. n'a pas oublié la vie tout court... Peut-être en effet Art a-t-il entrepris ce travail pour se rapprocher de cet être complexe qu'est son père, dans l'espoir de le comprendre. Il évoque aussi très bien ce sentiment de culpabilité ; celui d'avoir survécu là où d'autres sont morts. C'est ce fardeau écrasant que son père semble s'évertuer à lui transmettre par ses récriminations incessantes.

Sa mère quant à elle est la grande absente dont l'ombre plane sur toute l'histoire, et pour le père un sujet tabou à tel point qu'il en brûlera les écrits au lendemain de sa mort. Son destin rappelle celui d'un Primo Levi: elle se tranchera les veines en 1968.

    Maus peut-être invoque des fantômes ; ceux de tous ceux qui sont morts dans les camps, mais surtout de ceux qui n'ont pas supporté le retour à la vie après être passé si près de la mort et de la folie. Et lorsqu'on a lu dix pages on se sent transporté dans les années trente et on ne peut plus s'arrêter avant de connaître le dénouement de l'histoire.

    Ce qui est sûr, c'est que ces petites souris qui ont fait preuve du courage et de la dignité des géants; dénonçant les horreurs du genre humain, inspirent un vibrant plaidoyer pour l'humanité.

" On ne lit pas Maus, il nous lit et nous assiège "

La Quinzaine littéraire

De la rencontre peu naturelle entre la bande dessinée et la Shoah naît un choc. Vous ne sortirez pas indemne de la lecture de ces ouvrages. Ces albums-évènements sont une part du grand livre de l'histoire. Effrayants et toujours lourds d'émotions, ils sont porteurs d'un indicible cri à la liberté et au respect de l'homme. Ils rendent sobrement mais magnifiquement hommage au million de morts d'Auschwitz.

De nos jours, les jeunes générations ont donc à leur disposition de nombreuses oeuvres d'art qui témoignent de la Shoah. Certaines d'entre elles se présentent sous la forme de monuments ou d'expérimentations, faites par des artistes qui n'ont pas forcément connu les camps, mais qui demeurent tout de même sensibles au devoir de mémoire. Depuis un demi-siècle, ces oeuvres " in-situ " se multiplient en Europe.


 

            b) Les oeuvres "in-situ"

Définition : " in-situ " signifie " l'endroit où on se trouve ". Une oeuvre créée in-situ l'est pour un endroit précis, soit tenant compte de la topographie du lieu où elle s'intègre, soit qu'elle le transforme.

Artistes ou architectes, qu'il soit Juifs, Allemands, Juifs-Allemands ou d'autres nationalités se sont attelés à la tâche de faire avec l'irreprésentable. Toute une représentation s'est faite autour de la représentation, non pas de l'événement lui-même mais du rapport de la mémoire à cet événement.

On évoquera les travaux de Jochen Gerz, de Christian Boltanski et de Shimon Attie.

1) Jochen Gerz

Jochen Gerz, est né à Berlin en 1940. Il vit et travaille à Paris depuis 1966. Il pratique la photographie à partir de 1969. Puis en 1972, il réalise des vidéos des installations et des performances dans l'espace public. Il apparaît comme l'un des protagonistes les plus importants de l'art, autour de l'image et du mot, de l'information et de sa réalité médiatisée.

Voici plusieurs projets réalisés:

* En 1977 : Le Transsib- Prospekt, une de ses premières performances expérimentales.

Jochen Gerz parcourut le trajet Moscou-Khabarovsk-Moscou assis dans un compartiment du célèbre Transsibérien. Pendant la durée du voyage, les fenêtres étaient non seulement fermées mais recouvertes de papier ou de tissus et de ce fait, on ne pourrait rien voir de l'extérieur. Il traversa ainsi la Sibérie aller et retour, soit plus de 16 000 kilomètres. Pendant les seize jours que dura le voyage, il eut seize plaques d'ardoise, il y posa les pieds, une plaque par jour de façon à ne pas laisser de traces de son passage dans le compartiment. Tous les éléments qui auraient pu témoigner de sa présence dans le train, billets..etc, furent brûlés à l'arrivée. Si bien qu'à son retour, on ne saurait plus très bien si le voyage s'était vraiment effectué ou non.

* De 1986 jusqu'en 1993 : le " Mahnmal gegen Faschismus " ou Le monument contre le fascisme de Hambourg; sa première commande publique.

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Il érige avec sa femme Esther Shalev-Gerz une colonne recouverte d'une couche de plomb de 12 mètres de haut sur laquelle les passants pouvaient graver leur signature. Ce dernier, s'enfonçant tout doucement dans la terre, disparut tout à fait le 10 novembre 1993. A l'endroit qu'il occupait : une place vide.

L'aspect interactif dura donc sept ans. On vu apparaître des inscriptions violemment hostiles, des tirs au pistolet contre la structure mais aussi des signatures qui approuvaient l'opération.

* En 1990 : 2146 pierres. monument contre le racisme ou Le monument invisible:

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Il s'agissait de desceller, petit à petit et clandestinement, 2146 pavés sur 8000 de la place du parlement de Sarrebruck, d'y graver à leurs bases les noms des 2146 cimetières Juifs d'Allemagne, puis de les receler. Au début de l'oeuvre, descellement et recèlement ont " été clandestins, réalisés de nuit. Cependant après 70 pavés ainsi gravés et replacés dans une espèce de clandestinité, Jochen Gerz et son équipe, principalement constituée d'étudiants des Beaux-Arts, décida de se tourner vers les autorités officielles. Le Parlement de Sarre soutint l'entreprise et rebaptisa, en 1993, la place " place du Monument invisible ".

Cet invisible monument contre le racisme est donc foulé quotidiennement par les habitués de la place centrale de Sarrebruck.

Ces oeuvres jouent de la matérialité et de l'immatérialité de la mémoire, de l'oubli, et du souvenir. A chaque fois, les mêmes problématiques reviennent : disparition des traces, fragilité du témoignage, présence ténue de l'absence. Le monument s'efface, il n y a plus de traces. Les habitants devront, que ce soit pour leurs amis étrangers à la ville ou leurs enfants, raconter le monument, le décrire, faire le récit de son enfoncement par exemple pour le Mahnmal Gegen Faschismus, etc.

L'artiste s'explique à plusieurs reprises sur le sens de son entreprise : " c'est comme si le geste d'enterrer la mémoire produisait l'effet de lever la mémoire ; de là m'est venue l'idée de refouler l'oeuvre (...) Il faut que l'oeuvre fasse le sacrifice de sa présence pour que nous puissions nous rapprocher du noyau central de notre passé. Nous ne devons pas devenir les simples accessoires de notre propre histoire. Il faut retrouver la place de la responsabilité ".

2) Christian Boltanski

Né à Paris en 1944, Boltanski est un artiste français, en grande partie autodidacte. Depuis des années, son oeuvre ne cesse d'interroger des problématiques variées et cruciales comme la mort, l'identité, le sacré, la mémoire, la banalité, la famille...

Son engagement artistique relève véritablement d'une thérapie, un retour sur les traces et les traumatismes du passé ; que ce soit son histoire personnelle ou celle d'anonymes. Il restitue alors la biographie par la photographie, le récit, la collecte ou la présentation d'objets familiers. Il est emblématique de l'art expérimental de ces dernières décennies. Il ne manque jamais de remettre en cause les paramètres traditionnels de l'oeuvre d'art et associe dans son travail les modes d'expression les plus divers, défiant ainsi toute classification. De plus, il ne se contente pas de lier l'histoire à un contexte précis, il en tire un questionnement pour maintenant.

Une grande partie de son travail se concentre sur ce qu'il appelle " la petite

Mémoire ", celle qui concerne les choses ordinaires. Pour lui, " lorsqu'une personne meurt, c'est ce qui disparaît en premier. Pourtant ce sont des choses qui rendent les gens différents les uns des autres ". Il cherche donc à conserver cette petite mémoire.

Il évoque les épisodes de l'exode ou de l'Holocauste, grâce à des installations où il étale des vêtements par kilos, témoignant de la réalité charnelle de l'histoire et de la mort. En effet, ces objets chargés d'histoire viennent de quelqu'un. Une personne les a choisis, aimés mais la vie qu'ils portaient est désormais morte : les montrer c'est alors comme les ressusciter. Ses oeuvres partent toujours d'éléments aussi peu substantiels que des coupures de journaux, des boîtes en fer-blanc rouillé, de vieilles photographies, des vêtements usagés, des ombres vacillantes.

*1990: La maison manquante est un exemple de ce travail de deuil qu'il mène depuis les années 80, en référence au génocide juif.

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Il s'agit d'une installation d'octobre 1990, à Berlin dans l'ancien quartier juif. Il choisit un immeuble détruit pendant la dernière guerre mondiale dont l'absence est encore visible aujourd'hui. Il appose sur les deux murs mitoyens des maisons voisines des plaques commémoratives portant le nom des anciens habitants, leur profession et la date de leur départ, presque toujours 1942. A elle seule, cette date est parlante. " Renommer un mort, c'est lui forger une identité ", dit-il. Après identification, chaque occupant fut représenté par une plaque, au plus près de là où se trouvait son ancien appartement.

Boltanski ne traite donc pas la mort et la guerre comme des concepts abstraits, mais à travers la petite histoire. La grande histoire est la somme de petites histoires. La mémoire collective, qui est celle de tout le monde, ne rejoignant pas la petite mémoire de chacun devient dans ce cas-là celle de personne.

  Il nous montre donc précisément l'endroit de la mémoire, mémoire occultée comme des archives poussiéreuses et oubliées auxquelles il fait référence. Le souvenir est bien le point central de son oeuvre.

3) Shimon Attie

Shimon Attie, quant à lui, a pris l'ancien quartier juif de Berlin, aujourd'hui dans la partie est de la ville. Le long de ces rues désolées et vidées de leurs habitants, il a créé une installation originale.

Il a d'abord retrouvé des photos des années 30 de ce quartier avec les devantures des boutiques juives et leurs enseignes. Il les a transformées en diapositives et les a projetées la nuit, in-situ, sur les lieux mêmes où elles avaient été prises.

Shimon Attie, Almstadtstrasse (fruhere Grenadierstrasse) Ecke Schendelgasse, Berlin, 1994

L'artiste a commencé ses projections en septembre 1991 et a continué à les faire durant un an. Le passant qui se trouve là reçoit un choc, voyant littéralement des images spectrales sur les murs de la rue. C'est ainsi qu'on voit sur un mur lépreux d'aujourd'hui, à côté d'une porte-cochère : Hebraische BUCHHANDLUNG, la même indication en hébreu, et la silhouette d'un homme vu de dos portant un chapeau comme nombre de juifs en portaient.

Ou encore, à l'intérieur d'un porche : Conditorei Cafe, avec, là encore, des silhouettes de juifs pieux, en chapeau.

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Ces photos sont saisissantes par le contraste qui s'établit entre l'obscurité des rues et ces zones puissamment éclairées, puits de lumière venant trouer la nuit de l'oubli. C'est l'absence même qui est au coeur de ce projet

L'installation elle-même fut photographiée avec ses contrastes de lumière, de façon à ce qu'il y ait une trace de l'installation éphémère par définition.

L'artiste enregistra aussi les réactions des habitants du voisinage et des passants. Au début, ils étaient plutôt favorables à son installation, mais il sentit peu à peu croître l'hostilité contre lui. Ces installations dérangeaient : en effet le créateur exaspère souvent les contemporains qui préfèreraient "oublier".

Un homme, voyant la projection sur son propre building lui cria que ses voisins allaient croire qu'il était juif et qu'il voulait appeler la police ...!

Face à de telles réactions, la question se pose : un événement comme celui du génocide juif pendant la Seconde Guerre mondiale peut-il s'inscrire dans le paysage urbain, dans la pierre, le béton ?

      On se demandait au début des années 70, s'il ne fallait pas bâtir chaque fois deux exemplaires de chaque monument. Le premier pour fixer un état historique, le second destiné à être déformé, transformé et corrigé par la suite, portant en permanence la trace de l'attitude des nouvelles générations à son égard.


 

 

En conclusion, nous allons vous présenter un type d'art se situant entre la commémoration et la représentation artistique, un endroit connu de tous les Français sur lequel a été effectué un énorme travail de mise en place.

Si l'art graphique et les monuments ont énormément contribué au travail de mémoire, les mémoriaux y ont eux aussi participé. On compte parmi eux le mémorial de la Shoah,ouvert depuis janvier 2005. Il se qualifie de " musée de la vigilance conçu pour apprendre, comprendre et ressentir, parce qu'il est nécessaire de construire encore et toujours un rempart contre l'oubli, contre un retour de la haine et du mépris de l'homme ". Le mémorial permet aux familles des déportés de retrouver des membres de leur famille dans la salle des noms et d'obtenir des précisions sur leur vie pendant la Seconde Guerre mondiale.

Non loin du mémorial se trouve le Mur des noms sur lequel ont été gravés les noms de 76 000 juifs déportés et exterminés. Ce mur restitue une identité à des enfants, des femmes et des hommes que quelques nazis se sont efforcés de déshumaniser.

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Le mur des noms a une véritable symbolique. En effet, ses murs sont très rapprochés de manière à ce que les personnes circulant entre eux, aient un sentiment d'oppression. D'autres symboliques restent à analyser comme l'écriture des noms noir sur blanc ou encore le fait qu'ils aient été écrits à la suite et non en colonnes. Ajoutons à cela les récentes commémorations faites à Paris et le mur des noms fait lui aussi partie de ses monuments inoubliables qui inscrivent la Shoah dans nos mémoires désormais indélébiles.

L'art a énormément contribué au travail de mémoire. A travers la symbolique de la Shoah sous toutes les formes et à toutes les époques, l'Homme est parvenu à faire passer un message : " Plus jamais ça ". C'est ce qu'ont voulu les déportés rescapés, leurs proches, c'est ce que nous mêmes avons compris et c'est pourquoi, à notre tour, nous faisons passer ce message...


Sources :

Le Magazine littéraire

Le Monde (journal et magazine)

Le Monde de l'éducation

Le Monde des débats

Beaux Arts Magazine

Maus, Art Spiegelman

Auschwitz, Pascal Croci

Introduction à l'analyse d'image, Martine Joly

Adresses internet :

http://www.memorialdelashoah.fr/

http://www.memoire-juive.org/

http://perso.wanadoo.fr/d-d.natanson/artiste_milles.htm.

http://olivier.mercadier.free.fr/

 

 

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[1]  Serge Smulevic a transité vers Drancy, avant d'être déporté à Auschwitz. Il y a ici une confusion de la part de l'élève qui a rédigé cette partie.