LA MEMOIRE DU GENOCIDE ET SON EVOLUTION
Daniela Lino de Almeida - Charlotte Peeren - Gwladys Testut
I - MEMOIRE, DEVOIR DE MEMOIRE, HISTOIRE...
Définition mémoire, devoir de mémoire, histoire...
Différence entre " mémoire " et " histoire "
II- L'EVOLUTION DE LA MEMOIRE DANS LE TEMPS
La situation juste après la Guerre
Représentation du passé, la mémoire est le souvenir que l'on garde de quelque chose qui reste gravé dans les esprits de tout homme,de toute communauté comme celle des juifs par exemple à la suite de la Shoah, cette mise à mort massive impossible à imaginer. Cette mémoire de la Shoah fut très difficile et mis beaucoup de temps à être reconnue.
Ainsi dans un premier temps étudierons-nous, afin d'éclaircir le sujet, la mémoire en la définissant, puis en en la confrontant à l'histoire afin de mettre en évidence les différences.
Dans un second temps il serait avisé de se focaliser sur l'évolution de la mémoire de la Shoah: la situation juste après la guerre, puis la mémoire de nos jours en France.
I - MEMOIRE, DEVOIR DE MEMOIRE, HISTOIRE...
a) Définition mémoire, devoir de mémoire, histoire...
La mémoire est un lien affectif avec le passé, susceptible d'évoluer ou d'être manipulée. Cette mémoire fréquemment personnalisée, ne peut être collective que lorsque celle-ci est représentative d'une communauté telle que juive, résistante ou autre qui, bien souvent, mettent en doute la mémoire nationale institutionnelle telle que nous la connaissons, véhiculée par l'enseignement (souvent incomplet) et les commémorations officielles.
Aujourd'hui, les historiens " étudient " la mémoire. Ils définissent cela en tant qu'évolution des pratiques sociales différentes ayant pour objet la représentation du passé et de l'entretien de son souvenir. Ils doivent pour cela analyser les usages qui en sont faits,ce qu'ils concluent généralement par différentes sortes de mémoire. Pour une compréhension plus correcte et complète du sujet nous avons pris appui sur des extraits de l'ouvrage de Paul Ricoeur.
D'après ce dernier, toute phénoménologie de la mémoire est une idée simple. Celle de la " mémoire heureuse "qui se dissimule dans la définition de " mémoire par fidélité ". Seulement lorsque cette fidélité est au passé, ce n'est plus une donnée mais un voeu qui s'expose directement à la déception, voire à la trahison. Nous apercevons dans ce voeu de" mémoire par fidélité" une originalité particulière : ce n'est pas une action que l'on caractérise mais une représentation de paroles, d'actes, de langages constitutifs qui tiennent de la dimension déclarative de la mémoire. Le danger étant que comme dans tous les discours, ceux de la " mémoire déclarative" devant conduire à une réussite n'y arrivent que quelquefois, puisque malheureusement le reste du temps ils sont voués à un échec. Ceci ferait du voeu de" mémoire par fidélité" une revendication pure. Tout ceci résulte du " faire-mémoire " que Ricoeur qualifie en tant que résumé de la reconnaissance des évènements remémorés. Par la suite, reconnaissance s'arme d'une lame qui tranche entre deux absences : celle de I'antérieur et celle de l'irréel qui scinde la " mémoire de l'imagination ", par principe.
Souvent, on use et on abuse de la mémoire par la requête du souvenir sur le trajet du rappel, ce qui mène à une mémoire empêchée, une mémoire manipulée, une mémoire condamnée... et autant de figures difficiles mais jamais impossibles.
Pour la Shoah, la conjonction entre le travail de mémoire et le travail de deuil, a été certes le prix à payer, mais le partage d'une telle souffrance avec autrui ne peut être que bénéfique ; et de cela découle le fait que c'est dans la reconnaissance de soi-même que culmine le moment réfléchi de la mémoire sur le mode du souhait logique et personnel.
D'après une chronique de Pierre Bouretz, nous pouvons approximativement " définir " ce qu'est le " devoir de mémoire ". Fréquemment, et notamment pour les familles ayant été touchées par l'horreur de la Shoah, la mémoire se trouve partagée entre " fidélité " et " vérité " ne penchant jamais totalement dans un de ces deux extrêmes. Au contraire : bien souvent, après un balancement entre ces pôles vient le pardon. C'est là un véritable danger pour la mémoire étant donné que l'horizon du pardon mène inévitablement à la perspective de l'oubli. Mais, le refus est catégorique lorsque la possibilité d'ériger le souvenir en obligation est émise.
On préconise l'idée de " devoir de mémoire " (en évitant prudemment ne serait-ce que de sous-entendre celle de " devoir d'oubli") sachant que la solution consiste à lui opposer directement un " travail intensif de mémoire ", basé sur le " travail de deuil " théorisé par la psychanalyse. Le travail de mémoire est le sous-entendu de l'Histoire.
b) Différence entre " mémoire " et " histoire "
Nous définissons tous plus ou moins, l'Histoire comme la connaissance et le récit des événements du passé/des faits relatifs à l'évolution de l'humanité (d'un groupe social, d'une activité humaine) ; car c'est la définition que l'on trouve dans le dictionnaire. Mais l'on oublie bien trop souvent la fin de la définition : " ces événements sont dignes de mémoire ".
En effet, il existe un lien logique entre histoire et mémoire ; mais ces deux termes sont différents malgré eux... Disons qu'ils se complètent, que souvent l'un ne va pas sans l'autre, c'est une évidence. " Le témoignage transmet à l'histoire l'énergie de la mémoire déclarative ".
Simplement tous les documents n'ont pas la qualification de " témoignage " comme l'ont ceux qui sont des " témoins malgré eux ", comme les déporté d'Auschwitz.
L'écart existant entre histoire et mémoire apparaît dans la phase de définition des mots en tant que tels, puis elle se creuse dans la phase explicative, où l'on met à l'épreuve toutes les sortes d'usages disponibles du connecteur " parce que... ".
Il est vrai, cependant, que le couplage entre l'explication et la compréhension, que nous soulignons encore même la préservation en continuité avec la capacité de décision exercée par les agents sociaux dans des situations d'indécision et, par ce même biais, la continuité avec la compréhension de soi, tributaire de la mémoire. La Shoah illustre malgré elle l'indissociabilité omniprésente entre HISTOIRE et MEMOIRE, car ensemble ces deux termes sont plus forts et illustrent la force du futur qui ne cédera pas à I'oubli.
Dans la seconde partie, nous traiterons de l'évolution de cette mémoire...
II- L'EVOLUTION DE LA MEMOIRE DANS LE TEMPS
a) La situation juste après la Guerre
Comme chaque guerre, la Seconde Guerre mondiale a causé de nombreuses morts. Mais après l'Armistice, lorsque les Alliés sont sortis vainqueurs, beaucoup de morts sont restés d'origine mystérieuse. Comment comprendre que des millions de personnes ont été enfermées, condamnées au travail forcé et exterminées de manière industrielle, seulement parce qu'elles avaient une religion, une couleur de peau différente ou parce qu'elles n'avaient pas les mêmes idées que le gouvernement du 3ème Reich .De nos jours, il est difficile d'imaginer qu'une catastrophe de cette ampleur ait pu se produire. Pourtant ces faits sont bien réels.
A la fin de l'été de l'année 1941 la solution finale est instaurée. La mise à mort massive des déportés commence alors. Dans la dernière partie de la guerre, des rumeurs circulaient sur l'extermination des juifs, mais personne n'a voulu y croire. Les derniers survivants qui ont pu rentrer chez eux à la libération se sont très vite rendus compte qu'ils n'allaient pas être crus. C'est cette période où le silence était maître que nous allons traiter.
La mémoire de la Shoah a mis beaucoup de temps à être reconnue. Ce fut le silence presque total jusqu'en 1985, lorsque Claude Lanzmann réalise le film Shoah avec de nombreux témoignages. Juste après la Seconde Guerre mondiale, on peut observer une mémoire patriotique de déportation. Cependant, cette mémoire reste vague puisqu'elle regroupe toutes les victimes du nazisme sous l'unique catégorie de déportés et qu'elle confond camps de concentration et d'extermination.
Durant la Seconde Guerre mondiale, le régime de Vichy s'est progressivement soumis aux volontés des nazis en voulant affirmer la souveraineté française par des négociations. Or, en 1945, le régime de Vichy ne souhaite pas reconnaître ses responsabilités. Le gouvernement refuse également d'affirmer le caractère spécifique de Génocide dans lequel 75 000 Juifs français ont perdu la vie. Cette situation de non-affirmation ne sensibilise pas particulièrement les survivants qui, pour la plupart d'entre eux, veulent rentrer chez eux et retrouver leur vie normale. Les Juifs ont voulu réintégrer leur environnement le plus vite possible.
En 1956, un film représentatif de cette période est créé. Il s'agit de Nuit et brouillard d'Alain Resnais et Jean Cayrol. L'autre raison qui pousse également les Juifs à garder le silence sur ce qu'ils ont vécu est le fait que personne ne puisse croire à leur histoire. A notre époque nous possédons de nombreuses informations concernant la Shoah. Les derniers survivants peuvent aussi nous transmettre leur " expérience " comme Jules Fainzan lors du voyage à Auschwitz. Mais en remontant 60 années en arrière nous pouvons nous rendre compte de la difficulté pour la population de croire à un tel phénomène.
De plus, la propagande était organisée de telle manière qu'aucun renseignement n'était diffusé à ce propos. Il s'agissait seulement de rumeurs qui ne paraissaient pas crédibles. Les victimes ont donc préféré se taire. En 1960, la conscience juive renaît et la spécificité du Génocide est affirmée pour la première fois devant le monde entier. Mais les premiers témoignages ont été ceux d'hommes qui n'ont pas survécu. Ces hommes savaient qu'ils allaient bientôt mourir et ne laisser aucun descendant derrière eux. Ils savent aussi que les nazis vont tout mettre en oeuvre pour faire disparaître la communauté juive du monde entier. La priorité pour ces hommes devenait alors de tout raconter avant qu'il ne soit trop tard. L'écriture devient alors un besoin vital pour garder la trace d'évènements qui défient l'imagination et de s'assurer en quelque sorte l'immortalité. C'est une volonté que tout le monde sache comment ont disparu ces millions de personnes. L'objectif est de faire renaître par des mots un univers anéanti. C'est une urgente nécessité de porter témoignage pour que l'histoire puisse un jour être écrite.
Après les déchirures, le silence et l'oubli pèsent sur le souvenir de la guerre. Cependant à partir de 1968, de nouvelles générations entretiennent un rapport différent au passé. Vichy devient une obsession. Les polémiques se succèdent jusqu'en 1995.
Le sentiment anti-allemand s'estompe. Les souvenirs distinguent alors les nazis des Allemands. En 1964, une loi prévoit l'imprescriptibilité des crimes contre l'Humanité.
Avec le retour du Général Charles de Gaulle en 1958, le résistancialisme monopolise le souvenir de la guerre. Plus que la Libération fêtée localement, la journée du 8 mai, déclarée fériée en 1953, unifie des commémorations qui sont géographiquement et politiquement éclatées. Le souvenir de la guerre est essentiellement militaire et résistant, et se greffe sur celui de 1914.
Bien que l'intérêt manifesté par la guerre décroisse nettement, il demeure une mémoire diffuse de la guerre.
En 1962, le procès d'Eichmann puis celui de Francfort en 1964, où furent jugés une vingtaine de 55 Allemands en poste à Auschwitz, vont effectivement marquer un tournant. Le procès d'Eichmann a libéré la parole des témoins. Il crée une demande sociale de témoignage.
C'est là que la mémoire du génocide va se singulariser et éclipser les autres. En effet, pour que le souvenir du génocide pénètre le champ social, il faut que la configuration politique change, que le témoignage notamment, un des vecteurs essentiels de la mémoire, se charge d'un sens qui dépasse l'expérience individuelle, qu'il soit porté par des secteurs de la société.
Depuis la fin des années 70, l'attention s'est déplacée de la déportation résistante au génocide des juifs. Cela a à voir avec le triomphe de " l'idéologie " des droits de l'Homme et avec la place de la victime dans notre société. L'accent mis sur les victimes, leurs droits, leur parole, est un des signes de notre époque, un mouvement global qui dépasse la Shoah.
En 1978, Darquier de Pellepoix, responsable du commissariat aux questions juives sous Vichy, déclare : " qu'à Auschwitz, on n'a gazé que les poux ". Le scandale est immense et les conséquences importantes. Pour la première fois, en 1979, un Français, Jean Leguay, haut fonctionnaire de police qui supervisa la rafle du Vélodrome d'Hiver, est inculpé pour crime contre I'humanité grâce à la loi de 1964. Les procès se succèdent : lancement de l'affaire Papon, par exemple, en 1981 et inculpation de René Bousquet et Paul Touvier qui mettent en évidence autant la collaboration active de Vichy que les complicités dont ces hommes ont joui après la libération. Les historiens s'emparent de la question de Vichy. De nombreuses mémoires enfouies surgissent alors.
En France, on a beaucoup parlé au milieu des années 80, de la fameuse " querelle des historiens ", qui divisait le monde intellectuel de la République Fédérale d'Allemagne.
Pour la première fois dans l'Histoire de la République, une journée nationale est instituée par décret présidentiel, et non par une loi discutée et votée au parlement. Le décret prévoit une commémoration officielle le 16 juillet (si cette journée tombe un dimanche, sinon, le dimanche suivant le 16), l'érection d'un monument à l'emplacement du Vélodrome d'Hiver ainsi que deux stèles, l'une sur un des lieux de l'internement en France, l'autre à la maison d'Izieu, dont le Musée mémorial, largement financé par l'Etat, était inauguré le 24 avril 1994. L'inscription qui figure non seulement sur ces stèles, mais aussi dans chaque département français indique : " La République française en hommage aux victimes des persécutions racistes et antisémites et des crimes contre l'humanité commis sous l'autorité de fait dite " gouvernement de l'Etat français ", 1940-1944. N'oublions jamais. ". C'est un cas unique en France d'une intervention directe de l'Etat dans la mise en place de monuments et de stèles.
Alors que nous entrons dans le troisième millénaire, le génocide des Juifs est tout à la fois inscrit dans l'histoire et fortement présent dans l'imaginaire collectif. Il présente un caractère unique, celui d'un événement européen dont les effets sur le présent et les questions que le présent lui pose n'ont cessé de croître à mesure qu'il s'éloignait dans le temps.
Nous avons pu observer que, bien qu'il y ait un lien logique entre " mémoire " et " histoire ", ces deux termes s'opposaient complètement.
Cependant l'un ne peut aller sans l'autre comme a pu le souligner l'horreur de la Shoah. Dans les premiers temps, juste après la guerre, le silence était presque total, les mentalités se refusant à croire à l'inimaginable. Toutefois une évolution est notable au fur et à mesure que les années passent. De nos jours,le génocide des juifs est une réalité, ancrée dans l'imaginaire collectif en France.
Bien que dans notre pays cette catastrophe représente une horreur inoubliable, il n'en n'est pas de même dans d'autres pays où la Shoah est inconnue, peut-être dû au fait qu'ils n'aient pas été directement concernés, tels le Portugal ou l'Espagne.
CRIME CONTRE L'HUMANITE :
Violation des règles de droit fondamental sanctionnée pénalement par des gouvernements des Etats.
GENOCIDE :
Extermination systématique d'un groupe humain, national, ethnique ou religieux.
MEMOIRE :
Souvenir qu'on garde de quelqu'un ou de quelque chose; ce qui reste ou restera dans l'esprit des Hommes.
MEMOIRE COLLECTIVE :
Ensemble des souvenirs spécifiques d'une communauté, d'une nation.
HISTOIRE :
Partie du passé connu par des documents écrits/études et science des évènements passés, d'une évolution.
SHOAH :
Mot hébreu signifiant " catastrophe ", désignant plus particulièrement l'entreprise d'extermination du peuple juif par les nazis.
-Manuel d'Histoire de terminales ES,L, sous la direction de Guillaume Bourel et Marielle Chevalier éditions Hatier,2003
-Manuel d'Histoire de terminales ES,L,S collection Laurent Bourquin, éditions Belin,2004
- Manuel d'Histoire de terminales, sous la direction de Jean-Michel Lambin éditions Hachette, 1998
- Actu du samedi 22 janvier 200S, n°1673
- Auschwitz expliqué à ma fille, d'Annette Wieviorka, Le Seuil, septembre 1999
- La mort est mon métier, de Robert Merle, Folio
-Si c'est un homme de Primo Lévi, Pocket, 1987
- Le Monde des débats, septembre 2000, n°17
-Les cahiers français, n°303, juillet Ðaoût 200 1
- Eduquer contre Auschwitz, Histoire et mémoire, de Jean-François Forges, collection pédagogies, ESF éditeur, 1997
-Le petit Robert, dictionnaire de la langue française, Sejer, 2004
- Le système concentrationnaire polycopiés fournis par Mme Mallard
-Shoah, film de Claude Lanzmann de 1985