C’est en faisant des recherches sur les lettres écrites à Birkenau que Karen Taieb, responsable des archives du Mémorial de la Shoah, a récemment fait une importante découverte historique qui a permis de retrouver l’identité de l’auteur du seul témoignage laissé en français par un membre du Sonderkommando.
En février 1945, une lettre manuscrite en français, écrite par un Sonderkommando (les Juifs sélectionnés par les nazis pour vider les chambres à gaz et débarrasser les corps), est retrouvée par un membre d’une équipe de la Croix Rouge polonaise, Andrejz Zaorski, dans les ruines d’un crématoire d’Auschwitz, bien conservée dans une bouteille. Dans cette lettre signée « Hermann » l’auteur, qui s’adresse à sa femme et à sa fille, précise qu’il a été déporté par convoi parti de Drancy le 2 mars 1943.
En février 1948, le ministère des Anciens Combattants et victimes de guerre de la République française s’adresse à l’Amicale d’Auschwitz pour l’aider à retrouver la famille de l’auteur de la lettre. La famille est identifiée et le manuscrit original lui est remis le 2 mars 1948. La lettre est dès lors pieusement conservée par la famille qui n’en évoque pas l’existence.
Lorsqu’il était en possession du document, le ministère avait quant à lui procédé à une retranscription, conscient de son importance pour la connaissance du fonctionnement du Sonderkommando. Une copie de cette retranscription fut alors remise au Musée d’Auschwitz à la fin des années 60. C’est sans doute à cette époque que le texte fut attribué à un dénommé Chaïm Hermann, déporté par le convoi 49.
Aucun membre de sa famille ne s’étant jamais manifesté, les recherches sur Chaïm Hermann avaient seulement permis de l’identifier comme mécanicien dentiste et à priori célibataire. Ce témoignage unique d’un Sonderkommando français était donc resté attribué à Chaïm Hermann.
Comme Chaïm Hermann, Hersz Stasfogel, est né à Varsovie et a vécu et travaillé à Paris, dans le 11e arrondissement. Comme Chaïm, Hersz fut déporté par le convoi n°49. Mais, à la différence de Chaïm, Hersz s’était marié et avait une fille, Simone, à qui l’auteur s’adresse dans sa lettre.
Jusqu’à cette découverte réalisée par Karen Taïeb en 2018, il était alors impossible de deviner que Hersz Strasfogel se faisait usuellement appeler Hermann en France, et que le prénom de sa fille, déclarée Sima, avait été francisé pour devenir Simone.
Ce qui a mené la responsable des archives sur la piste de Hersz Strasfogel, c’est un formulaire d’inscription sur le Mur des Noms du Mémorial de la Shoah, envoyé par une certaine Simone en 2002 pour demander l’inscription de son père sur le Mur. Elle joint à sa demande une copie de la lettre originale, manuscrite. Elle ignore alors que cette lettre a été attribuée par l’Histoire à un autre.
C’est en rassemblant les lettres de Birkenau pour un projet de publication que Karen Taïeb va alors faire le rapprochement entre cette lettre manuscrite et le témoignage unique de Chaïm Hermann, qu’elle connaît bien. En contactant la famille Strasfogel, elle va alors remonter jusqu’à la lettre originale et réécrire la véritable histoire des deux Hermann.
La lettre originale a été donnée par la famille aux archives du Mémorial de la Shoah.
Le dimanche 10 mars 2019 à 17h, le Mémorial organisera un événement officiel à cette occasion dans l’auditorium E. J. Safra, en présence de la famille et de chercheurs et historiens spécialisés.