« Les personnes qui nous confient leurs archives familiales espèrent que la mémoire de leurs proches pourra continuer à vivre après eux »

Premier centre d’archives en Europe, le Mémorial de la Shoah continue ses collectes pour transmettre la mémoire des Juifs de France, d’Europe et d’Afrique du Nord aux générations futures. Encore aujourd’hui, le Mémorial recherche tous documents de 1880 à 1948 : photos, lettres, journaux, papiers personnels, objets, cartes d’identité, visas, passeports, dessins…

Pour accompagner le Mémorial de la Shoah dans sa mission de transmission et de sensibilisation à la prévention des crimes contre l’humanité, vous pouvez vous rendre avec vos archives familiales au Mémorial de la Shoah à Paris, tous les mardis après-midi. Si vous habitez en province, les équipe du Mémorial viennent aussi à votre rencontre pour collecter et préserver vos archives familiales.

Lior Lalieu, reponsable du service photothèque, est celle qui organise et tient chaque semaine la permanence photo du Mémorial de la Shoah. Elle répond à nos questions sur l’importance de la collecte d’archives familiales. Encore aujourd’hui, on peut découvrir des documents inédits.

Mémorial de la Shoah : Chaque mardi après-midi, vous organisez une collecte d’archives au Mémorial de la Shoah à Paris (ouverte au public et sans rdv préalable). Comment cela se passe-t-il concrètement ? 

Lior Lalieu : Pour faire connaissance avec l’histoire familiale du donateur, nous demandons toujours à notre interlocuteur sa date et son lieu de naissance. À travers ces informations, nous sommes déjà capables d’orienter nos questions, de mieux saisir son récit. On ne possède pas la même histoire si l’on est né en 1946 ou si l’on est né au début des années 1970. Aujourd’hui, la plupart des donateurs se déplacent non pas pour raconter leur propre récit mais pour nous transmettre l’histoire de leurs parents ou de leurs grands-parents.

Au lancement de cette permanence, les bénévoles étaient des survivants et ils recevaient d’autres survivants. Aujourd’hui, les bénévoles sont beaucoup leurs enfants.

Chaque semaine, nous rencontrons une diversité de profils : certains viennent avec plus de questions que de réponses : beaucoup s’interrogent sur les circonstances de l’arrestation de leur parent déporté. D’autres ont entrepris des recherches autour de leur histoire familiale et nous remettent leurs découvertes. Les personnes qui nous confient leurs archives familiales espèrent que la mémoire de leurs proches pourra continuer à vivre après eux, après nous.

Mémorial de la Shoah : Quels documents, le Mémorial de la Shoah recherche activement ?

Lior Lalieu : Au Mémorial, nous travaillons sur le temps long. De façon générale, nous cherchons à acquérir des photographies pour documenter la Shoah en France, la Solution Finale et sa mise en place en France : les internements, les rafles, les déportations. Ce qui ne s’illustre quasiment pas.

Aujourd’hui, on peut encore découvrir des choses. L’année dernière, des photographies du ghetto de Varsovie en flammes, prises par un pompier polonais en 1943 ont été mises à jour. Nous ne sommes pas à l’abri de retrouver un album de photos du camp d’internement de Drancy, de nombreux témoignages rapportent que des photos y ont été prises.

La permanence photo accueille aussi des personnes non juives qui étaient en classe avec des enfants juifs raflés. Elles nous confient leurs photos de classe mais aussi les cahiers de leurs camarades qui ne sont pas revenus à l’école en septembre 1942, des cahiers conservés par eux pendant des décennies.

Mémorial de la Shoah : Après la collecte, comment se poursuit le travail de la photothèque ?  

Lior Lalieu : Après la rencontre avec le donateur, son histoire et ses archives, nous répartissons les différents documents entre nos différents services (bibliothèque, archives et photothèque). À la photothèque, nous allons associer chaque image à une diversité de mots-clés (et de situations) pour les rendre accessibles au plus grand nombre.

Nous réunissons par exemple toutes les images illustrant les métiers exercés par les juifs dans les années 1930 ou bien toutes les photographie montrant des personnes portant une étoile jaune entre juin et juillet 1942. La dernière étape consiste à valoriser ce fond, à le mettre en ligne, à le cataloguer.

Mémorial de la Shoah : Où en êtes-vous du projet lancé en 2012 « Un visage sur un nom » ? 

Lior Lalieu : Depuis son lancement, nous avons réussi à collecter 21.200 photographies grâce à la permanence, grâce aussi à la salle de lecture. Dès qu’une personne s’engage dans des recherches en salle de lecture, nos équipes lui demandent si elle possède des photos. Depuis ses débuts, le Mémorial de la Shoah agit selon une mission : donner à chaque nom, un visage, une histoire, une biographie. Nous continuons à travailler sur l’identification de ces personnes dont les noms nous viennent des archives de la Gestapo, des bourreaux. Nous travaillons à humaniser ces listes de noms, à les sortir de l’anonymat et de l’oubli.

Mémorial de la Shoah : Plus de 80 ans après la création du CDJC (l’ancêtre du Mémorial de la Shoah), quels sont les projets de la photothèque ? Quelles sont les urgences à l’heure où les derniers témoins disparaissent ? 

Lior Lalieu : En 2005, nous avions lancé une campagne de collecte intitulée : Les derniers témoins. Nous sommes en 2023 et nous continuons à interviewer les derniers témoins, il y a encore des survivants, des enfants cachés prêts à témoigner, dont le récit doit être enregistré. C’est pourquoi nos équipes à Paris et en province continuent à se déplacer pour saisir leur parole.

Mémorial de la Shoah : Pourquoi déposer ses archives familiales au Mémorial de la Shoah ? En quoi confier ses archives aide à la transmission de l’histoire de la Shoah ? 

Lior Lalieu : Depuis la mise en place de la collecte il y a vingt ans, notre fonds ne cesse de s’agrandir : aujourd’hui nous comptons 50.000 photos de familles. Dans le même temps, la demande d’archives ne cesse de croître : plus le catalogue s’enrichit, plus des familles peuvent, à travers leurs recherches, se reconstruire, se retrouver. Nous avons déjà eu le cas d’une femme, née en juillet 1944, qui a découvert à 80 ans le visage de son père déporté dont elle n’avait aucune trace ou le cas de cousins qui découvrent l’existence de l’autre grâce à leurs dons respectifs. Il y a tellement d’histoires à raconter…

En savoir plus sur la collecte nationale d’archives 

 

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