Hommage à Hubert Heilbronn, ancien vice-président du Mémorial de la Shoah, décédé ce 14 avril 2024

Le Mémorial de la Shoah rend hommage à Hubert Heilbronn (1931-2024), son ancien vice-président et administrateur.
Hubert Heilbronn a accompagné et soutenu le développement de notre Institution pendant de nombreuses années.

Il était commandeur de la Légion d’honneur et commandeur des Arts et des Lettres.

Le Mémorial de la Shoah adresse ses condoléances à sa famille et à ses proches.

 


Hommage à Hubert Heilbronn

Ancien vice-président du Mémorial de la Shoah, de 1985 à 2008,

par son fils François Heilbronn

au cimetière du Montparnasse, le 17 avril 2024

 

Chère famille, chers amis et très chers amis de Hubert Heilbronn

Merci d’être venus si nombreux en ce jour pour accompagner notre si cher père, Hubert Heilbronn. 

Nous sommes là avec lui, il est avec nous, pour une dernière fois.

Ce drapeau tricolore, si cher et si chéri par lui et par toute notre famille, l’enveloppe. Le drapeau de la France, de la République Française, sa France et la France des patriotes de sa famille qui se sont battus pour elle, et pour tant d’entre eux jusqu’au sacrifice suprême.

Sur son cercueil est gravée une étoile de David, sur le drapeau sont posées ses deux décorations et parmi les plus illustres, celle de commandeur de la Légion d’honneur dont la devise lui va si bien, Honneur et Patrie. Et celle de commandeur des Arts et des Lettres pour lui l’éternel amoureux des Livres.

Honneur et Patrie, décoré de la Légion d’honneur comme son père Jacques Heilbronn, lui à 18 ans à titre militaire pour actes héroïques en 1918, son grand-père Henri Klotz capitaine d’Artillerie à Verdun, et Officier de la Légion d’Honneur à titre militaire, ses arrière-grands-pères Victor Klotz et Julien Hayem tous deux officiers de la Légion d’Honneur et vaillants gardes nationaux lors du siège de Paris en 1870. De son arrière-arrière-grand-père Simon Hayem, lui aussi officier dans cet ordre.

Et notre père, lui si attaché à cet Honneur et à notre patrie, fut comblé quand à la sixième génération et ainsi sans discontinuer, ma sœur Anne, première femme de notre famille depuis 150 ans et moi furent à notre tour nommés chevaliers de la Légion d’honneur.

Tant de héros dans sa famille. Deux de ses grands-oncles sont tombés au champ d’honneur pour la France en 1914 et 1915, le capitaine Émile Hayem et le lieutenant Henri Hayem. D’autres héros, qu’il a aimés et connus sont tombés au combat entre 40 et 44, son oncle le lieutenant Pierre Heilbronn en juin 40, son autre oncle le lieutenant parachutiste François Klotz en juin 44, et son cousin Hubert de la Fressange en octobre 1944.

Il admira toujours son grand frère Didier Heilbronn qui à 17 ans rejoignit l’Algérie et le Bataillon de choc parachutiste, fut blessé et décoré dans les combats des Vosges et d’Allemagne à 18 ans.

Papa servit pendant trois ans comme Maréchal des Logis au 2ème et au 3ème Hussard, et les livres encombraient la tourelle de son char à l’hiver 55 dans les montagnes de l’Atlas.

Il rejoint aujourd’hui ses morts héroïques qui ont porté si haut « la France en s’abattant ».

Il y a aussi sa fidélité à son identité juive, à ses valeurs juives et républicaines indissociées. Il appartient à ces familles juives que nous appelions des Israélites français et que mon grand-père toujours plein d’humour comme mon père surnommait des PIF … des Patriotes Israélites Français.

Du côté paternel Heilbronn, c’était une famille originaire de Fürth en Bavière dont l’aïeul Jules, choisit la France en 1852, terre de liberté et d’espérance. Du côté maternel, sa mère Anne-Marie Klotz est issue par les Klotz d’une famille juive alsacienne de Wissembourg et par sa mère Flore Hayem d’une famille juive lorraine de Metz depuis le 16ème siècle. Ces deux familles s’étant installées à Paris entre 1810 et 1820. Il était fier de pouvoir dire qu’il était né à Paris dans une famille parisienne depuis au moins cinq générations.

Les Hayem descendaient du docteur Isaïe Cerf Oulman sauveur du roi Louis XV et des Spire-Lévy descendants des premiers rabbins Lévy de Metz. Ceux-ci descendaient directement de Mattathias de Trèves grand rabbin de France au 14ème siècle et enfin du plus grand talmudiste et premier prosateur en langue française au 11ème siècle en Champagne, le rabbin et vigneron Rachi de Troyes.

Cette famille spirituelle de rabbins et de grands érudits sur au moins huit siècles, représentaient aussi son identité, son héritage et sûrement sa passion des Livres, lui le laïc, profondément laïc et absolument pas pratiquant sauf pour le jeûne de Kippour.

Puis il connut le rabbin Delphine Horvilleur, il y a plus de douze ans lors des Bar Mitsvot de ses petits-enfants David, Max et Salomé. Elle le fit monter à la Teva pour les bénir et où pour la première fois comme ce jour, ses noms hébraïques furent prononcés, Israel ben Yaacov, Israël fils de Jacob.

Avec Delphine, il retrouva en elle, au-delà de ses qualités intellectuelles, spirituelles et de leur amour partagé des blagues juives, la force du judaïsme lorrain pétri d’amour de la France, du Livre et de tous les livres. Je la remercie pour ses mots ce jour. Il m’avait expressément demandé que ce soit Delphine qui l’accompagne, comme elle l’avait si bien fait en octobre 2019 pour notre mère, ici même sous ce tilleul.

Enfant parisien de la République et des écoles publiques, son identité juive était secondaire, voire oubliée. Mais un 3 octobre 1940, l’État Français, toute la très haute Administration Française dont le Conseil d’État, écrivirent à ce jeune garçon de 9 ans, tu es dorénavant un paria, un moins que rien, un exclu de la Nation.

Il devint progressivement un enfant invisible, allant de cache en cache, déscolarisé, pourchassé, traqué comme 70.000 autres enfants juifs en France. Traqués par la police et la gendarmerie de son pays la France et par la Gestapo. 

Sa tête pendant quatre ans fut mise à prix.

Il quittera Paris en juin 40 avec ses si chers grands-parents Ernest et Claire Heilbronn. Il ira de ville en ville. Il sera caché à Saint-Martin d’Uriage au-dessus de Grenoble avec sa mère Anne-Marie, sa jeune sœur Florence, décédée en 2018, et son cousin Philippe Heilbronn que nous avons enterré à quelques mètres d’ici il y a six mois. Pendant ce temps-là son père animait un réseau de résistance en Seine-et-Marne dans sa ferme de Suscy au village de Crisenoy près du château de Vaux-le-Vicomte. 

Mon père, un 6 février 44 à Uriage, âgé de douze ans, assista à l’arrestation de Ernest et Claire Heilbronn par un commando de SS Autrichiens dirigé par Aloïs Brunner.

Ce fut ensuite la fuite organisée par ma grand-mère et le sauvetage et la cache à Moulins pendant six mois par un couple de cuisinière et sabotier, Marguerite et Jacques Copet, Guiguitte et Jean-Jean, nommés Justes parmi les Nations en 2003.

Il revint à Paris en septembre 1944, à 13 ans. Ses trois grands-parents avaient été assassinés comme trois tantes et six cousins. Trois oncles et cousins tombèrent au combat. Le deuil commençait, là où la France et Paris fêtaient leur Libération.

Hubert comme tous les enfants juifs ayant survécus aux rafles, à la déportation et au meurtre, Hubert avait résisté. Il avait survécu à un État allemand criminel et policier, il avait survécu à un État français collaborateur jusqu’au bout dans la mise à mort des enfants juifs étrangers comme français.

Et comme tous les enfants juifs cachés, ce combat et cette survie si jeune lui avaient donné une immense force. Chaque jour de sa vie était un jour gagné sur la mort. Il fallait vivre pleinement. Mais il fallait aussi se montrer digne des siens et de tous ceux assassinés ou morts au combat, digne de leur exemple de courage et de dignité.

le 7 mars 2019 pour la 1ère remise des Prix Ernest et Claire Heilbronn au Mémorial de la Shoah ; Hubert Heilbronn entouré de ses deux filles

Son judaïsme n’était pas religieux, loin de là, il était spirituel, intellectuel mais surtout fait de combats pour la dignité des Juifs en France, en Israël et dans le monde entier comme lui avait si bien enseigné les pages lumineuses de « Notre jeunesse » de Péguy, consacrées à Bernard Lazare. Il en citait souvent cette phrase de Péguy à propos du peuple juif, phrase qu’il faisait sienne : « Je connais bien ce peuple. Il n’a pas sur la peau un point qui ne soit pas douloureux, où il n’y ait un ancien bleu, une ancienne contusion, une douleur sourde, une cicatrice, une meurtrissure d’Orient ou d’Occident ».

En 1952, il était parti vivre six mois dans des kibboutz d’Israël. Ce pays devint pour lui aussi une « Terre d’amour », pour laquelle il se battra toujours, jusqu’à son dernier souffle. 

Son dernier souffle dans les bras de ses trois enfants, quand au même moment les criminels missiles iraniens étaient tous abattus au-dessus du ciel d’Israël. Il en aurait été inquiet et fier. Lui, qui depuis le 7 octobre et le pogrome massif de Juifs en terre d’Israël, revivait comme tous les Juifs de sa génération encore plus douloureusement ce retour de la barbarie antisémite à volonté génocidaire. Et comme dans les années noires, comme une deuxième blessure, ce meurtre de Juifs fut soutenu voire acclamé par de nombreux Français et même des députés. Depuis le 7 octobre, certaines angoisses enfouies ressurgissaient. Mes combats l’inquiétaient parfois mais le rassuraient aussi et comme toujours, il me soutenait, relisait mes textes avant envoi à la presse.

Son soutien à Israël fut constant, en 1956 servant comme Maréchal des Logis dans la cavalerie française, il voulut rejoindre les paras français qui sautaient sur Suez pour se battre aux côtés de l’allié israélien. En 1967, avec son frère Didier, ils se portèrent volontaires à l’Ambassade d’Israël pour partir défendre Israël face à cinq armées arabes. En 1991, quand Israël subissait les tirs de Scud irakiens potentiellement chargés de gaz, il s’y rendit en solidarité avec une délégation du CRIF. Il passa une nuit dans un abri avec un masque à gaz où il échangeait des citations de Péguy avec son ami François Léotard. 

En 2002, en pleine vague d’attentats meurtriers en Israël, il n’hésita pas avec ma mère et moi, comme Simone Veil et son fils Pierre-François à se rendre pour Yom Hashoah au kibboutz des combattants du ghetto de Varsovie. Simone et Pierre-François allumèrent une de six flammes représentant nos six millions de morts, mon père et moi une autre. Il revint enfin souvent en Israël pour participer aux colloques de l’université de Tel-Aviv. Université où il donna une série de cours au sein de son département de cultue française sur « Cinq écrivains français – Pascal, Chateaubriand, Lamartine, Péguy, Claudel – dans le mystère et la lumière d’Israël ».

En épousant notre mère Gina Escojido, auprès de laquelle il va maintenant reposer et qui lui manquait chaque jour depuis sa disparition il y a quatre ans et demi, il épousait le soleil de la méditerranée. Notre famille maternelle était juive de l’empire ottoman et d’Égypte, chassés de leur pays en 1956, nos grands-parents, Jaïme et Soledad, nos oncles et tantes s’installèrent en Israël. Nous nous retrouvions tous les étés au Kibboutz de Sdot Yam tout près de Césarée. Papa y venait avec bonheur et déclamait Bérénice dans les ruines de Césarée avec son beau-frère et ami Claude Sautet, et dédiait ces vers à ma sœur Laurence, dont c’est le troisième prénom : « Je demeurai longtemps errant dans Césarée… ».

Cet amour d’Israël, cette fierté de Français juif ancré dans sa terre de France, sa générosité, son courage et sa philanthropie le conduisirent à s’engager comme militant actif dans de nombreuses associations juives. 

A la demande de son Président Jules Braunschwig, un ami proche de son père, il rejoignit l’Alliance Israélite universelle en 1975 jusqu’à son décès. Où il seconda ensuite son ami le professeur Ady Steg devenu son Président. Puis il accepta de rentrer au CRIF sous la présidence d’un homme qu’il admirait, Alain de Rothschild, et il y devint trésorier sous les présidences d’Alain, mais aussi de Théo Klein et de Jean Kahn pendant presque 20 ans. Il était toujours membre de son Comité Directeur.

En 1985, encouragé par notre mère qui levait des fonds avec Mary de Rothschild pour sauver le Mémorial du Martyr Juif Inconnu en grande difficulté devenu depuis le Mémorial de la Shoah, il en devint le vice-président aux côtés d’Éric de Rothschild, dont je veux saluer la présence amicale aujourd’hui comme celle de toutes les équipes du Mémorial et de son directeur Jacques Fredj.

Au Mémorial, il fut moteur avec Éric de Rothschild, Serge Klarsfeld, Simone Veil, André Wormser, Jacques Fredj et notre si cher Pierrot Kauffmann pour l’extension du Mémorial et la création du Mur des Noms des Juifs déportés de France où sont gravés les noms de douze des siens, qu’il a tous connus et aimés. C’est lui qui a insisté pour que soit, dans le même lieu, construit le Mur des Justes parmi les Nations, lui qui avait été sauvé par un couple admirable, auquel il restera comme mes grands-parents fidèle toute leur vie.

Ayant rejoint le bureau du Mémorial à ses côtés en 2000, il souhaita comme Éric que j’en devins le vice-président à sa place en 2008. 

Hubert Heilbronn devant le Mur des Noms le 25 janvier 2005

C’est en 2014 qu’il souhaita créer une Fondation abritée au Mémorial de la Shoah du nom de ses grands-parents tant aimés, Ernest et Claire Heilbronn assassinés à Auschwitz-Birkenau, pour financer et récompenser des doctorants travaillant sur l’histoire des Juifs en France, des professeurs engagés contre le racisme et l’antisémitisme et des historiens confirmés, et primer un ouvrage de référence sur les Juifs en France paru dans l’année.

Il présida cette Fondation jusqu’au bout et le 12 mars dernier, il y a un mois, pour les 80 ans de la déportation d’Ernest, Claire et Marcelle sa tante, il présida la remise des prix au Mémorial et lu la lettre qu’Ernest Heilbronn avait envoyée au préfet de l’Isère le 12 juillet 1941 où il écrivait :

« Monsieur le Préfet,

Pour obéir à la loi du 2 juin dernier, j’ai l’honneur de vous faire la déclaration qui suit.

 Je me nomme Ernest, Georges Heilbronn. Je suis Israélite, né à Paris le 13 octobre 1867. Je suis français, mes parents étaient français.


Ma femme, née Claire Marie Goldschmidt qui habite avec moi, est née à Paris, le 25 juillet 1872, ses parents étaient français. Notre domicile habituel est à Paris.

Nous résidons temporairement à l’Hôtel Moderne.

Habite avec nous généralement notre petit-fils Philippe Pierre Heilbronn, né à Paris le 25 juillet 1932, dont le père, notre fils Pierre Heilbronn, officier au 2ème groupe franc motorisé de cavalerie a été tué à l’ennemi le 9 juin 1940… »

Un autre de ses engagements profonds fut l’Amitié Judéo-Chrétienne dont il créa le Prix en 1990, prix qui depuis cette année porte son nom, le Prix Hubert Heilbronn de l’Amitié Judéo-Chrétienne et qu’il a encore remis en novembre dernier Ce prix était une manière d’honorer sa tante Marcelle Chevalier née Heilbronn, infirmière héroïque des deux guerres, convertie au catholicisme, qui choisit de suivre volontairement ses parents en déportation pour ne pas les abandonner. Dans cette institution remarquable, il noua des amitiés profondes avec le grand rabbin Sirat et les cardinaux Lustiger et Decourtray. Il se battit avec eux jusqu’au bout pour que le Carmel, sacrilège, d’Auschwitz soit retiré.

Voici donc la vie de Juif dans la Cité, de Juif engagé, de républicain farouche d’un enfant juif caché qui, par le combat pour la justice, a su se montrer digne de tous ses ascendants, patriotes, philanthropes, épris de justice, éclairés et amoureux de la République et de la France.