France, documentaire, Synecdoche, Arte, 2017. Avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.
En avant-première.
« Paula Biren, Ruth Elias, Ada Lichtman, Hanna Marton, quatre noms et prénoms de femmes juives, témoins et survivantes de la plus folle et de la plus impitoyable barbarie, et qui, pour cette seule raison, mais beaucoup d’autres encore, méritent d’être inscrites à tout jamais dans la mémoire des hommes. Ce qu’elles ont en commun, outre l’horreur spécifique dont chacune a été l’objet, c’est l’intelligence, une intelligence tranchante, aiguë, charnelle, qui récuse tous les faux-semblants, les mauvaises raisons, en un mot l’idéalisme. Il n’y avait pas d’idéalisme dans un camp d’extermination. Écoutons la merveilleuse Ruth Elias, très belle et bouleversante lorsqu’elle joue à l’accordéon une chanson allemande de Sarah Leander :
« Tout passe. Même en ce moment si dur, il y a encore de l’humour dans nos coeurs. »
Mais Ruth ajoute encore, en finissant une fois pour toutes avec les embellissements et les faux témoignages :
« Quand on est dans la misère, on agit comme un animal, on suit l’instinct. Quand j’entends des gens dire que, dans les camps, ils se sont comportés comme ceci ou comme cela, qu’ils voulaient vivre afin de pouvoir raconter ensuite ce qui avait eu lieu, je suis désolée mais je n’y crois pas. J’ai vu l’instinct animal. Tous les masques tombaient, nous étions dans l’impuissance, nus, nous devions montrer notre visage véritable. Un des instincts en moi était la nourriture. Survivre, ce n’est possible que si on mange. Il n’y avait que cela qui comptait. »
Mais Mengele voulait savoir combien de temps pouvait vivre un bébé sans nourriture et avait fait bander les seins de Ruth. Après quatre jours et nuits de gémissements inhumains de son enfant, Ruth ne put que se résoudre à lui administrer elle-même la piqûre mortelle. L’infirmière kapo qui lui remit la seringue et le poison létal avait prêté, disait-elle, le serment d’Hippocrate, qui lui interdisait de tuer ! Mais les trois autres héroïnes de ce film, que j’ai tourné il y a plus de trente ans à la même époque que Le Dernier des injustes, n’ont pu alors – et pour les mêmes raisons – trouver leur place dans Shoah. Chacune méritait un film en soi et tailler à la serpe dans un seul de ces quatre épisodes, tous également bouleversants, m’aurait révolté par la défiguration qui eut été imposée à des protagonistes d’une trempe exceptionnelle. Qu’il s’agisse de Paula Biren, brillante intelligence au charme extrême, nommée par Rumkowski membre de la police féminine juive du ghetto de Lodz, d’Ada Lichtman, témoin à Cracovie du meurtre atroce et sans restes de toute sa famille dès la première semaine de la guerre avant de devenir une esclave véritable au camp d’extermination de Sobibor et de jouer pour finir un rôle décisif dans la révolte. D’Hanna Marton enfin, rongée par l’inguérissable remords d’avoir fait partie de l’Arche de Noé qui, fruit d’un accord conclu avec Eichmann, permit à 1 600 Juifs hongrois d’embarquer pour Bergen-Belsen et la Suisse tandis qu’au même moment plusieurs centaines de milliers de leurs compatriotes étaient sauvagement gazés en masse à Auschwitz. »
Claude Lanzmann
En présence du réalisateur Claude Lanzmann.
Attention, cet événement étant complet, les places restantes sont situées en salle de retransmission.