Rescapée du camp d’Auschwitz-Birkenau, première présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, femme politique au parcours exemplaire, ministre de la Santé engagée dans la lutte pour l’avortement et militante pour une Europe unie, Simone Veil est décédée ce matin à l’âge de 89 ans.
Avec une vive émotion, le Mémorial de la Shoah, qu’elle inaugurait aux côtés de Jacques Chirac en janvier 2005, souhaite lui rendre hommage.
Élevée au sein d’une famille juive unie, installée en France depuis de nombreuses générations et pour laquelle la religion n’avait pas vraiment de place, Simone Jacob n’a que 16 ans lorsqu’elle est arrêtée le 30 mars 1944 par la Gestapo dans le centre de Nice et conduite à l’Hôtel Excelsior, quartier général allemand. Dans les heures qui suivent, la famille Jacob est interpellée par la Gestapo, à l’exception de sa soeur Denise Jacob.
Simone transite d’abord par le camp de Drancy avant d’être déportée avec sa mère Yvonne et sa sœur Milou au camp d’Auschwitz-Birkenau. Son autre soeur Denise, résistante, sera envoyée à Ravensbrück.
Arrivée à Auschwitz par le convoi n°71 le 15 avril 1944, Simone, qui n’est alors qu’une jeune fille, prétend avoir 18 ans, ce qui va lui permettre d’échapper à la mort immédiate. On lui tatoue sur son bras gauche le numéro 78651. Simone Veil dira un jour que c’est à cet instant qu’elle a mesuré la portée menaçante et définitive de la négation de son identité. Ce numéro 78651 sera gravé plus tard sur son épée d’académicienne.
Le 15 mai 1944, le père de Simone, André Jacob et son frère, Jean Jacob, sont déportés vers la Lituanie par le convoi n°73. Ils ne reviendront pas.
Simone aura les cheveux coupés courts mais pas rasés, une chose inexpliquée, comme tant d’autres à Auschwitz. Avec sa soeur et sa mère, elles sont envoyées au camp de quarantaine où elles effectuent des travaux de maçonnerie visant à prolonger la rampe du chemin de fer jusqu’aux chambres à gaz. Simone se lie d’amitié avec d’autres jeunes femmes, comme Marceline Loridan, dont elle restera extrêmement proche toute sa vie.
« Je voulais grandir, comme tous les jeunes gens de mon âge. Mais on ne grandit pas à Auschwitz. A l’âge des promesses, j’y ai perdu bien des illusions. »
(Simone Veil, préface de l’Album d’Auschwitz)
En juillet 1944, avec l’aide d’une auxiliaire polonaise du camp qui la trouve « trop jolie pour mourir ici », Simone est envoyée avec sa sœur et sa mère dans le camp annexe de Bobrek, à quelques kilomètres d’Auschwitz, où elles sont affectées à des travaux d’entretien extérieurs. Au « sanatorium » pas d’appel, moins de morts, davantage de soupe, l’usine Siemens veille au rendement.
Le 18 janvier 1945, suite au bombardement d’Auschwitz par l’armée soviétique, les SS évacuent le camp. Une longue marche de 700 km par moins trente degrés commence alors. Milou, Yvonne et Simone arrivent finalement, épuisées mais en vie, à Bergen-Belsen. Mais, un mois avant la libération du camp, le 15 mars 1945, Yvonne meurt du typhus dans les bras de Milou.
Simone va alors protéger sa soeur jusqu’à leur libération, le 15 avril 1945, par l’armée britannique, qui ne suscitera « nul cri de joie. Seulement le silence et les larmes ».
Simone et Madeleine Jacob rentrent en France le 23 mai 1945. Elles y retrouvent leur sœur Denise, seule autre survivante de la famille. La question de la mémoire va se poser très rapidement pour Simone.
« La Shoah ne se résume pas à Auschwitz : elle a couvert de sang tout le continent européen. Processus de déshumanisation mené à son terme, elle inspire une réflexion inépuisable sur la conscience et la dignité des hommes, car le pire est toujours possible »
En 1945, Simone Jacob s’inscrit à la faculté de droit et à l’Institut de Sciences Politiques de Paris. Elle y rencontre Antoine Veil et l’épouse en octobre 1946. Elle entre dans la magistrature en 1956 comme haut fonctionnaire et sera, en 1970, la première femme secrétaire générale du syndicat de la magistrature. En mai 1974, elle est nommée ministre de la Santé dans le gouvernement de Valéry Giscard d’Estaing. Seule contre tous, elle légalise l’avortement en 1975 puis devient, en 1979, la première femme à occuper le poste de présidente du Parlement européen.
Figure singulière et forte de la vie politique française et européenne, elle exerce le pouvoir sans jamais le désirer. Elle prendra le temps d’écrire son autobiographie, Une vie, assurant ainsi son « immortalité » en entrant sous la coupole de l’Académie française le 18 mars 2010, à l’âge de 82 ans. Mais tous ces honneurs et son engagement politique ne lui feront jamais perdre de vue le devoir de mémoire de la Shoah, qu’elle remplira tout au long de sa vie.
Fidèle à ce qu’elle estime être le devoir des rescapés des camps de la mort, elle témoigne alors pour les Juifs martyrs, et aussi au nom de l’humanité toute entière.
Dans les années 80, Simone Veil devient membre du conseil d’administration du Mémorial du Martyr juif inconnu et du Centre de Documentation Juive Comptemporaine. Elle en deviendra la vice-présidente et fera ensuite partie des membres fondateurs du Mémorial de la Shoah. Parallèlement, elle est la première présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah de 2001 à 2007. Elle en était restée présidente d’honneur.
Durant toutes ces années, Simone Veil poursuit son combat : transmettre le souvenir de la Shoah aux générations futures. À l’occasion du 60e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, le 27 janvier 2005, jour de l’inauguration du Mémorial de la Shoah à Paris, Simone Veil prononce un discours qui résonne comme un vibrant appel d’une survivante aux générations à venir.
« Je considère comme un devoir d’expliquer inlassablement aux jeunes générations, aux opinions publiques de nos pays et aux responsables politiques, comment sont morts six millions de femmes et d’hommes, dont un million et demi d’enfants, simplement parce qu’ils étaient nés juifs (…) Si la Shoah constitue un phénomène unique dans l’histoire de l’humanité, le poison du racisme, de l’antisémitisme, du rejet de l’autre, de la haine ne sont l’apanage d’aucune époque, d’aucune culture, ni d’aucun peuple. Ils menacent à des degrés divers et sous des formes variées, au quotidien, partout et toujours, dans le siècle passé comme dans celui qui s’ouvre. Ce monde là est le vôtre. Les cendres d’Auschwitz lui servent de terreau.»
Femme de conviction, femme de cœur, survivante de la Shoah, Simone Veil a toujours eu le souci de la dignité humaine et de l’autre. Et s’il faut un mot pour résumer sa vie, c’est bien le mot dignité que nous choisissons aujourd’hui.
Toutes nos pensées vont à ses proches et sa famille.