Irène Némirovsky n’a pas aimé son enfance.
Sa mère la dédaigne. Son père est en voyage d’affaires. Elle n’a que l’affection de sa gouvernante française et le réconfort des livres. Née en 1903, elle a quinze ans quand les troubles révolutionnaires la chassent de Russie avec les siens. C’est à Paris, à dix-huit ans, qu’elle publie ses premiers contes. Elle danse, rit, étudie, puis se marie et, en 1929, donne naissance à une fille. Un mois plus tard, un roman implacable, aussitôt traduit dans le monde entier et porté à l’écran, fait sa renommée : David Golder. Une dizaine de romans et de nombreuses nouvelles suivront, dictés par l’héritage familial, le souvenir d’être russe, l’étrangeté d’être juive, la volonté d’être française, puis par la nécessité de faire vivre son foyer à l’heure des premières lois antijuives.
Impossible de réduire la romancière au succès posthume et universel de Suite française,chronique cruelle et drôle de l’Exode et de l’Occupation, mais aussi expression d’une réticence à « vivre, penser, aimer avec les autres, en fonction d’un État, d’un pays, d’un parti ».
Rétive à tout « destin communautaire », Irène Némirovsky n’a jamais nié qu’elle était juive ; mais elle ne s’en fait pas gloire, n’abdique rien au « sang âcre et maudit » de sa mère et reçoit le baptême en 1939, à défaut de la nationalité française. Du Bal (1929) aux Chiens et les Loups(1940), elle ne cesse pourtant d’inviter dans son œuvre ces personnages d’étrangers indésirables, sans pitié mais non sans tendresse, et présente à la France des années de crise le miroir déplaisant de la xénophobie. Au risque, parfois, d’être mésinterprétée : ainsi David Golder, le roman qui la rendit célèbre et suspecte à la fois.
L’orgueil de l’artiste, le talent de la satiriste, le rejet des hérédités, le dédain de la politique, mêlés au désir mimétique de devenir française, ont pu aveugler cette femme dont l’œuvre est si lucide. Réfugiée en 1940 dans un village du Morvan, mère de deux filles, apatride au regard de la loi, contrainte de publier sous un prête-nom, elle est arrêtée le 13 juillet 1942 par la police, puis déportée à Auschwitz alors qu’elle élaborait la troisième partie de son roman-fleuve, intitulée Captivité.