Après-guerre, le mouvement sioniste développe une activité importante tant sur le plan politique que dans l’aide apportée aux institutions du Foyer National Juif qui, dans la clandestinité, préparent l’avènement de l’Etat d’Israël.
Dans la communauté juive française, l’épreuve de la persécution n’a pas provoqué un flot migratoire important vers Eretz Israël. Cependant, la population comme ses représentants se montrent résolument solidaires des Juifs qui y vivent. Le CRIF, mais aussi le Consistoire Israélite et même l’Alliance Israélite Universelle expriment publiquement leur soutien à la cause sioniste. Pour le travail clandestin, les organisations palestiniennes vont s’appuyer sur ceux qui ont été les combattants de la Résistance juive pendant la guerre.
En décembre 1944, l’Armée Juive, créée en janvier 1942, décide de s’auto dissoudre pour renaître sous la forme de deux organisations, l’une officielle, l’Association des Anciens Combattants et Résistants Juifs de France, et l’autre clandestine qui se met au service du mouvement sioniste et de la Haganah en particulier, pour l’organisation d’une vaste émigration clandestine vers Eretz Israël. D’ailleurs, dès l’arrivée du délégué de l’Agence Juive à Paris, les militants de l’AJ constituent le noyau de l’Alyah Beth. L’AJ recevra l’aide individuelle de nombreux anciens camarades de la Résistance, notamment ceux issus de la Sixième, nom de code de l’organisation clandestine de sauvetage des EIF (Eclaireurs Israélites de France), du MJS (Mouvement de Jeunesse Sioniste) et de l’Hachomer Hatzaïr (mouvement de jeunesse juive créé en Galicie en 1913).
Gagner la France au sionisme, gouvernement et opinion publique, figure déjà en mai 1945 comme l’un des objectifs prioritaires définis par David Ben Gourion, président de l’Agence Juive et principal dirigeant du Yishouv.
Auprès des gaullistes, les sionistes peuvent se prévaloir d’avoir été parmi les premiers à reconnaître le mouvement de la France Libre et d’avoir maintenu un lien tout au long de la guerre, grâce à la présence de l’écrivain Albert Cohen à Londres. Mais le réseau de complicités le plus important a été établi avec la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière), existant avant-guerre et renforcé pendant la guerre, grâce à Marc Jarblum, leader du mouvement sioniste en France. Léon Blum, ancien Président du conseil, André Blumel, avocat et ancien chef de cabinet de Léon Blum, Cletta Mayer constituent autant d’alliés importants, tant pour les démarches officieuses qu’officielles. Dans le cercle rapproché, parmi les nouvelles recrues figurent, des ministres et d’anciens ministres, Jules Moch, Daniel Mayer, Edouard Depreux, Christian Pineau, André Philip, tous proches de Léon Blum.
La Ligue Française pour la Palestine Libre, créée en décembre 1946 et rattachée aux thèses de l’Irgoun (organisation armée nationaliste juive en Palestine mandataire, née en 1931 d'une scission de la Haganah, et dirigée à partir de 1943 par Menahem Begin), est une organisation qui rassemble, en dehors des partis, les partisans disparates d’un Etat juif. Elle participe à la création d’un climat de sympathie au sein de l’opinion publique et réussit à rallier un très grand nombre d’intellectuels de tous bords dont Jean Paul Sartre. Dans « La Riposte », le journal de la Ligue, se côtoient les noms de Léon Jouhaux, ancien secrétaire général de la CGT, Simone de Beauvoir, Raymond Aron, Pierre Mendès-France et le gaulliste Jacques Soustelle.
Cette sympathie facilite la tâche des organisations sionistes. La Haganah et l’Irgoun installent leur Etat-major en France, les autorités se montrent bienveillantes et parfois complices de l’immigration clandestine, elles tolèrent l’achat et le transfert d’armes à partir de la France, des centaines de jeunes Juifs rescapés de la Shoah et membres des organisations sionistes reçoivent une formation militaire dans des camps mis à la disposition des organisations palestiniennes par les autorités françaises, un cours de navigation maritime et de pilotage aérien se déroule librement pour les jeunes recrues.
A la fin de l’année 1946, la Haganah achète à Baltimore, aux Etats-Unis, un steamer de rivière en mauvais état, le Président Warfield. Battant pavillon du Honduras, il appareille pour la France avec un équipage de volontaires américains, complété par quelques officiers du Yishouv ayant appartenu à la Brigade Juive. Le bateau arrive à Marseille le 12 juin, puis appareille pour Sète. Parallèlement, une opération sans précédent est entreprise par l’Alyah Beth pour convoyer, en l’espace d’une semaine, plus de 4 000 personnes des camps de personnes déplacées qui vont constituer l’essentiel des passagers de ce bateau. 175 camions traversent l’Europe et parviennent en France où les passagers reçoivent des visas délivrés par le consul de Colombie à Marseille, le général Delano. Les autorités françaises et notamment Edouard Depreux, ministre de l’Intérieur, acceptent de fermer les yeux sur l’authenticité des visas. En attendant le départ, les émigrants sont accueillis dans des centres d’hébergement appartenant à l’ORT (Organisation Reconstruction et Travail). Informées de la situation, les autorités britanniques tentent de faire pression sur le Quai d’Orsay qui est moins favorable à cette immigration clandestine et veut surtout éviter de déplaire à ses alliés arabes et britanniques. Le 10 juillet 1947, le Président Warfield prend le large vers la Palestine et est rebaptisé Exodus. Mais le 18 juillet, le bateau est arraisonné par la Royal Navy qui attaque causant d’importants dégâts, et la mort de trois passagers. Faute de place dans les camps de Chypre, mais aussi afin de dissuader les émigrants clandestins, les passagers sont alors transférés sur trois bateaux cages et renvoyés en France. Le 29 juillet, les bateaux arrivent à Port de Bouc près de Marseille. Ils sont accueillis par des centaines de journalistes et une délégation du gouvernement français qui offre l’asile politique aux passagers mais refuse de les faire débarquer de force, comme le demandent les Anglais. Les conditions de vie à bord, extrêmement pénibles en raison autant du climat que de l’entassement, font basculer l’opinion publique française émue par le sort de ces rescapés des camps. Des manifestations sont organisées en leur faveur et la politique du gouvernement britannique est vivement critiquée tant par les formations politiques que par la presse française. Mais le 21 août, le Foreign Office adresse un ultimatum aux passagers de l’Exodus leur intimant l’ordre de débarquer avant le 22 août à 18 heures. Le nombre de passagers qui débarque ne dépasse pas cent trente. A l’heure dite, les bateaux cages appareillent pour Hambourg en Allemagne où les passagers sont débarqués de force à l’aide de matraques et de gaz lacrymogènes puis transférés en train vers des camps de personnes déplacées en zone d’occupation britannique.
Membres de la Haganah dans la région de Marseille accueillant les candidats au départ pour la Palestine.
© Coll. Jean-Michel Vecchiet.
Les passagers de l’Exodus embarquent sous le regard des autorités françaises.
© D.R.