Le collectif Oyneg Shabbes
Emmanuel Ringelblum est secondé dans sa tache par l’économiste Hersz Wasser et l’enseignant Eliahu Gutkowski. D’autres intellectuels participent à l’entreprise, parmi lesquels le rabbin Shimon Huberband, le jeune économiste Menahem Linder, le professeur Israël Lichtensztajn, qui dirigent respectivement la section religieuse, le service économique et statistique et le service scolaire de l’Entraide sociale juive. Des collaborateurs occasionnels gravitent autour d’Oyneg Shabbes, historiens, écrivains, économistes, médecins, scientifiques, travailleurs sociaux, etc., auxquels s’ajoutent des informateurs qui apportent des nouvelles des ghettos régionaux, souvent des agents de liaison féminins dont le « physique aryen » facilite les périlleuses missions. Certains, comme le médecin et pédagogue Janusz Korczak ou l’écrivain Jehoshua Perle, sont déjà célèbres en Pologne avant guerre; d’autres sont demeurés obscurs. La plupart sont décédés dans le ghetto de Varsovie ou au camp d’extermination de Treblinka, en 1942 et 1943.
Dans la plus stricte clandestinité, une vaste documentation sur la situation à Varsovie et au sein des autres ghettos en Pologne est peu à peu constituée. Des récits, des rapports détaillés, prenant en considération tous les événements et tous les aspects de l’existence des Juifs, sont rassemblés, concernant notamment la vie clandestine. Des listes des déportés et des travailleurs forcés sont établies, et sont recueillis les témoignages en provenance des différents ghettos de Pologne. Un important fonds de documents officiels est réuni, significatifs de l’aggravation continuelle de la persécution: annonces des autorités d’occupation, formulaires, cartes d’alimentation, cartes d’identité, cartes de logement ou certificats d’embauche, jusqu’à des imprimés les plus divers, comme les emballages de produits fabriqués au sein du ghetto. Outre la compilation de l’ensemble de la presse clandestine juive, Oyneg Shabbes assure la préservation de textes littéraires, ainsi que d’oeuvres d’art témoignant de l’intense activité intellectuelle et culturelle au sein du ghetto.
Emmanuel Ringelblum et ses amis ont la volonté de jeter les bases d’une institution scientifique. La publication d’un important ouvrage collectif est envisagée sous l’intitulé Deux ans et demi de guerre, vaste encyclopédie de la vie et de la mort dans le ghetto sous le joug nazi. L’entreprise est stoppée par le déclenchement de l’Aktion : les rafles et déportations vers le camp d’extermination de Treblinka de près des quatre cinquièmes des habitants du ghetto de Varsovie, du 22 juillet au 21 septembre 1942.