PARTIE I LA FORTERESSE NAZIE À LA VEILLE DES GRANDES OFFENSIVES DE L ÉTÉ 1944
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LA GUERRE DES ONDES : BBC/RADIO-PARIS Depuis 1940, la BBC est la voix de la France libre. Elle joue un rôle important dans la guerre menée contre l occupant et le régime de Vichy et reste de loin la plus écoutée et la plus influente des radios de la Résistance. Tout au long de la guerre, la BBC livre une véri- table « guerre des ondes » à Radio-Paris, la voix de l occupant et de la collaboration. À partir de la deuxième moitié de l année 1943 et plus encore dans les premiers mois de 1944, les liens entre la BBC et la Résistance se renforcent, et les messages diffusant des indications sur les lieux et le moment des parachutages, les arrivées et les départs se font de plus en plus nombreux à mesure que se profile le Débarquement. Dans le même temps, les radios collaboration- nistes, elles, diffusent une propagande de plus en plus violente qui vise à la fois les Alliés, de Gaulle, les communistes et les Juifs. Jean Hérold Paquis et, plus encore, Philippe Henriot, dont l éloquence, les sarcasmes et les accusations ont une influence certaine sur une partie de l opinion publique, interviennent quotidiennement sur les ondes de Radio-Paris. Nommé secrétaire d État à l Information et à la Propagande par Pétain en janvier 1944, Henriot, que certains surnomment le « Goebbels français », affronte sur les ondes l humoriste Pierre Dac (André Isaac de son vrai nom), l une des voix de la France libre. Aux attaques antisémites et personnelles de son adversaire, Dac répond sans flancher, avec humour et cynisme : ainsi intitule-t-il son intervention du 10 mai 1944 « Bagatelle pour un tombeau ». Rappelant alors à son détracteur que sa judéité ne l empêche nullement d être un Français patriote, il promet au propagandiste vichyste le déshonneur : « Sur votre tombe, si toutefois vous en avez une, il y aura aussi une inscription. Elle sera ainsi libellée : Philippe Henriot, mort pour Hitler . » L humoriste prononce là une épitaphe prémonitoire : Henriot est éliminé par la Résistance quelques jours plus tard.
L UTILISATION DE L ARME DE LA PROPAGANDE
L es derniers mois de la guerre sont propices à l intensification de la propagande. Au début de l année 1944, les nazis, anticipant des
opérations militaires de grande envergure sur le sol français, déploient d importants efforts pour entretenir l inquiétude des populations civiles en stigmatisant non seulement les Britanniques et les Américains, accusés d être responsables des destructions et des victimes liées aux bombar- dements, alors que les « étrangers », les Juifs et les « terroristes » sont rendus responsables des attentats qui se font de plus en plus nombreux. Ainsi, le 22 février 1944, au lendemain de l exé- cution de vingt-deux des membres du réseau Manouchian (réseau de Francs-tireurs et parti- sans Main-d œuvre immigrée, ou FTP-MOI), est placardée dans Paris et dans plusieurs grandes villes françaises une « Affiche rouge », imprimée à plusieurs milliers d exemplaires et déclinée sous forme de tracts. C est l une des formes que prend la vaste opération lancée en France par les nazis pour décrédibiliser la Résistance. Le choix de la couleur rouge vise à dénoncer l appartenance de ces hommes à la mouvance communiste et la violence de leurs pratiques, et le texte insiste sur l origine étrangère des condamnés, au moment même où les actes de résistance se multiplient. Les Allemands, jusqu au bout, mèneront cette guerre idéologique. Alors que la guerre semble perdue, les autorités du Reich continuent ainsi à inciter les Allemands à résister à la progression alliée, tant à l Est qu à l Ouest. Ainsi, lors des combats de la 19e armée allemande dans la poche de Colmar entre novembre 1944 et février 1945, une unité de propagande mise en place pour l occasion, la Propaganda-Einheit 619, multi- plie les messages diffusés afin de soutenir le moral des troupes allemandes et de perturber celui des ennemis américains et français. Dans le même temps, dans les semaines qui précèdent le débarquement, puis au cours des combats pour la libération de la France, les Alliés multiplient, eux aussi par le biais d inter- ventions radiodiffusées (Radio Londres, Radio Amérique en Europe) et par le parachutage de tracts, les opérations destinées à démoraliser les partisans de Vichy, à discréditer les troupes d occupation, à galvaniser les résistants et à s attirer le soutien des populations civiles encore indécises. Exemple d émission radio parmi d autres, la Voix de l Amérique, incarnée par Jacques Maritain, Paul Vignaud ou Pierre Lazareff, vise à préparer Français et Européens à l arrivée des Alliés, notamment des Américains.
▲ Affiche de la propagande allemande, associant les résistants à des terroristes et accusant les judéo-bolcheviks de semer la terreur, février 1944. Elle est communément appelée l « Affiche rouge ». © Mémorial de la Shoah
▲ Exécution au Mont-Valérien, à Suresnes, des membres du groupe Manouchian, identifiés sur l Affiche rouge, le 21 février 1944. © Mémorial de la Shoah
▲ Verso de l Affiche rouge portant un texte de propagande. Ce document a été imprimé sous forme de tract et diffusé après l exécution des résistants. © Musée de la Résistance nationale, Champigny-sur-Marne