PARTIE III LA FIN DE L UNIVERS CONCENTRATIONNAIRE ET L ÉCROULEMENT DU IIIe REICH (HIVER-PRINTEMPS 1944-1945)
LE TRANSFERT DES PRISONNIERS D AUSCHWITZ VERS LES AUTRES CAMPS À l été 1944, Auschwitz est devenu le cœur du système concentrationnaire nazi. Mais le cours de la guerre vient bientôt modifier l organisation des camps. Tout d abord, depuis le printemps, les autorités nazies ont pris une décision majeure. Pour pallier le manque de main-d œuvre dans les industries d armement en Allemagne, en raison d une mobilisation de plus en plus importante des Allemands sous l uniforme, il est décidé de transférer une partie importante des détenus juifs à l intérieur du Reich, alors que depuis 1941 l objectif poursuivi était de vider l Allemagne de « ses » Juifs. Cette inflexion dans la « Solution
donner l ordre d évacuer, car l extermination systématique sur place est souvent impossible. Enfin, le Reichsführer-SS Himmler considère, quant à lui, que ces milliers d êtres humains, et en particulier les Juifs, peuvent devenir une monnaie d échange utile dans le cadre d une éventuelle paix séparée.
LES ÉVACUATIONS ET LES MARCHES DE LA MORT
L e processus d évacuation des camps, c est-à- dire le transfert forcé de détenus vers d autres camps moins accessibles aux armées alliées
en progression, démarre en fait dès l été 1944, à l heure de la libération des premiers territoires occupés et des premières intrusions à l intérieur du Reich. Entre juillet et septembre 1944, les déte- nus des camps de concentration de Majdanek, en Pologne, de Vught-Hertogenbosch, aux Pays-Bas, et de Natzweiler-Struthof, en Alsace annexée, sont massivement évacués vers le centre de l Allemagne. Une nouvelle vague d évacuations intervient fin 1944, après la poussée soviétique sur le front de l Est. Les trois complexes d Auschwitz et le camp de Gross-Rosen sont, dans leur quasi- intégralité, vidés de leurs détenus : un peu moins de 10 % des prisonniers ont été libérés à Auschwitz lors de l arrivée des soldats de l Armée rouge, le 27 janvier 1945, sur les 70 000 que comptait le camp avant l évacuation. Au total, on estime qu au cours des trois premiers mois de l année 1945, près de 150 000 détenus ont péri lors de ces diverses évacuations ou dans les camps de concentration. À partir d avril 1945, le même phénomène d évacuation se reproduit quand la dizaine de grands camps du Reich et les 400 satellites, ou camps annexes, encore en fonction se trouvent menacés. Parmi les 550 000 concentrationnaires, seuls 250 000 vont être effectivement libérés sur place dans les camps. Ce constat ne signifie pas pour autant que ces hommes ou ces femmes n avaient pas subi de déplacements forcés. Pour beaucoup, leur présence était toute récente et le camp de libération n était donc pas celui de leur affectation principale. Ainsi le complexe concentrationnaire de Mittelbau-Dora est-il évacué dans son intégralité à partir du 4 avril 1945. Près de 40 000 détenus embarquent dans des convois ferroviaires, s engagent dans des « marches de la mort » certains empruntent même des péniches. Un quart d entre eux dispa- raît alors, mais la majorité des rescapés, éparpil- lée, va finalement être libérée dans les camps de Bergen-Belsen, Ravensbrück, Sachsenhausen, Neuengamme et Mauthausen. Pour la SS, l objectif de ces mouvements de détenus est triple. Mu par un fanatisme qui frise l irrationnel, il s agit pour les services écono- miques (WVHA) de préserver cette main-d œuvre concentrationnaire, indispensable à la poursuite de la guerre, et nécessaire pour la production d armes. Au-delà de cet enjeu intervient un élément sécuritaire souvent évoqué par les édiles locaux : la crainte que les détenus, une fois libérés, se livrent à des exactions sur les populations civiles allemandes environnantes. Elle incite donc certains responsables SS à 26 / 27
▲ La « marche de la mort » de prisonniers du camp de Dachau, traversant un village sur la route de Wolfratshausen, en Allemagne, entre le 26 et le 30 avril 1945. © United States Holocaust Memorial Museum / KZ Gedenkstaette Dachau
▲ Aat Breur-Hibma, Ravensbrück, Allemagne, 1944. Ce dessin au crayon représente la grande tente montée à la hâte dans le camp de Ravensbrück après l insurrection de Varsovie ; c est là que sont parqués les femmes et les enfants polonais déportés. © Rijksmuseum Amsterdam