@ Webdocumentaire Les deux albums d Auschwitz - www.reseau-canope.fr/les-2-albums-auschwitz/index_2.html Tal Bruttmann, Auschwitz, Paris, La Découverte, 2015
des plus importants, notamment en raison de la finesse de son analyse du fonctionnement du camp et des relations entre les détenus. Il y évoque notamment la manière dont le texte de L Enfer de Dante a constitué tant un moyen d éva- sion que d échange. L importance de la culture dans l univers concentrationnaire est mise en avant, comme élément de partage entre des détenus venus d horizons et de pays différents.
PRIMO LEVI (1919-1987) Jeune ingénieur, Primo Levi est capturé par les fascistes italiens le 13 décembre 1943 au sein d une unité de partisans. Se déclarant Juif, il est déporté à Auschwitz le 22 février 1944, dans un convoi de 661 personnes. À l arrivée, il est « sélectionné », avec 95 autres hommes et 29 femmes jugés aptes au travail, et envoyé à Monowitz, camp rattaché au complexe chimique de la Buna. Affecté d abord dans un kommando chargé de construire l usine, il est, quelques mois plus tard, transféré à un poste moins éprouvant et qui lui permet de survivre. À la veille de l évacua- tion du camp, il est épuisé et malade ; il fait partie des moribonds découverts par l Armée rouge le 27 janvier 1945. Son témoignage, écrit quelques mois seulement après son retour et publié pour la première fois en 1947 sous le titre Si c est un homme, est considéré aujourd hui comme l un
Car Auschwitz n est pas uniquement un gigan- tesque complexe concentrationnaire. Le site est également l un des principaux lieux choisis par les nazis pour mener à bien la « Solution finale ». C est pour cette raison qu à proximité du camp de Birkenau, un centre de mise à mort est aménagé : des chambres à gaz, dont certaines dotées de crématoires, servent à l assassinat des Juifs déportés depuis toute l Europe. À la descente des trains, les SS procèdent à la « sélection », opération destinée à diriger vers le camp un infime pourcentage d hommes et de femmes, arbitrairement désignés comme étant aptes au travail et permettant de fournir de la main-d œuvre aux colossaux projets qu abrite Auschwitz. Au total, 200 000 Juifs deviennent ainsi des prisonniers du camp, alors que l immense majorité est immédiatement assassinée sans y avoir jamais pénétré. Si les prisonniers de Birkenau sont témoins de ce massacre à échelle industrielle, un groupe se voit assigner par les SS une tâche directement liée au meurtre : les membres du Sonderkommando, chargés de sortir les corps des chambres à gaz et de procéder à leur enfouissement, puis, à partir de 1943, à leur crémation. Témoins directs du processus de destruction, condamnés à être eux- mêmes tués, les membres du Sonderkommando se soulèvent le 7 octobre 1944 et dynamitent l une des chambres à gaz. Mais la révolte est écrasée dans le sang par les SS.
Témoignage du général Vassili Petrenko (1912-2003)
Commandant de la 107e division d artillerie, j ai entendu parler de ce camp pour la première fois au téléphone le 26 janvier, alors que je dirigeais le combat pour libérer Neuberun. J avais été appelé par le général P. F. Ilinykh, pour m annoncer que les 100e et 322e divisions, en combattant pour libé- rer Monowica et Zarki, avaient établi qu il s agissait de parties d un grand camp de concentration hitlérien dont le centre se trouvait à Auschwitz. Le commandant du corps m a prévenu que nous allions devoir prendre Neuberun le plus vite possible, mais également tout faire pour empêcher l adversaire de partir vers Auschwitz. Il a ordonné qu après la prise de Neuberun, ma 107e division et la 148e divi- sion de fusiliers voisine continuent énergiquement leur offensive le long de la rive gauche de la Vistule, en menaçant par derrière la garnison adverse d Auschwitz. La ville fut totalement libérée le 28 janvier et notre division se prépara à traverser la Vistule. Il y avait environ un kilomètre et demi jusqu à Auschwitz, qui se trouvait sur la rive droite. Le général F. M. Krasavine, le commandant de la 100e division qui avait pris Auschwitz la veille, m a appelé et m a demandé de venir. Il tombait une légère neige qui fondait immédiatement. Il commençait à faire sombre, mais nos soldats ont trouvé un appareil et ont fait de la lumière. Des détenus émaciés, en vêtements rayés, s approchaient de nous et nous parlaient dans différentes langues. J ai été frappé par ces prisonniers transformés par la cruauté jamais vue des nazis en véritables squelettes vivants. Les Allemands avaient laissé les impotents. Les autres, tous ceux qui pouvaient marcher, avaient été emmenés le 18 janvier. Ils avaient laissé les malades, les affaiblis ; on nous a dit qu il y en avait plus de dix mille. Ceux qui pouvaient encore marcher, peu nombreux, se sont enfuis alors que notre armée s approchait du camp. Je ne suis pas seulement entré dans les baraques qui m avaient tant impressionné par leur aspect. On m a également montré les pièces où l on asphyxiait au gaz avant le crématoire. Le crématoire lui-même et une chambre à gaz avaient été dynamités. J avais bien lu des tracts sur le traitement des Juifs par les nazis, mais on n y disait rien de l extermination des enfants, des femmes et des vieillards. Ce n est qu à Auschwitz que j ai appris le destin des Juifs d Europe. C était le 29 janvier 1945.
Général Vassili Petrenko, Avant et après Auschwitz, Paris, Flammarion, 2002.
Le bilan des victimes
Le bilan d Auschwitz mêle deux dimensions différentes : la dimension concentrationnaire, le camp étant au service des diverses politiques répressives nazies 200 000 prisonniers y sont acheminés dans ce cadre, en premier lieu des Polonais. Et la « Solution finale » : 1 100 000 Juifs ont été déportés vers le centre de mise à mort, dont près de 900 000 ont été immédiatement tués. Ceux que l on a « sélectionnés » ont été enregis- trés comme prisonniers du KL. Au total, 400 000 personnes (hommes et femmes) ont été détenus à Auschwitz, dont plus de la moitié a péri.
L arrivée de l Armée rouge à Auschwitz, vue par Primo Levi
« La première patrouille russe arriva en vue du camp vers midi, le 27 janvier 1945. Charles et moi la découvrîmes avant les autres ; nous trans- portions à la fosse commune le corps de Somogyi, le premier mort de notre chambrée. [ ] C étaient quatre jeunes soldats à cheval qui avançaient avec précaution, la mitraillette au côté, le long de la route qui bornait le camp. Lorsqu ils arrivèrent près des barbelés, ils s arrêtèrent pour regarder, en échangeant quelques mots brefs et timides et en jetant des regards lourds d un étrange embarras sur les cadavres en désordre, les baraquements disloqués et sur nous, rares survivants. »
Primo Levi, La Trêve, traduit de l italien par Emmanuèle Joly, Paris, Grasset, 1966.
▲ Photo clandestine de l incinération des corps des personnes assassinées à Auschwitz, prise en 1944 par Alberto Errera, un détenu membre du Sonderkommando. © Mémorial de la Shoah
▲ Couverture de la première édition de Si c est un homme, de Primo Levi, en 1947. D.R.