@ Dessins réalisés pendant la déportation par quatre artistes : France Audoul-Martinon (Ravensbrück), Louis Bissinger (Buchenwald), Gino Gregori (Mauthausen) et Jeanne Letourneau (Ravensbrück). Site du musée de l Armée, www.musee-armee.fr/actualites/ concours-national-de-la-resistance-et-de-la-deportation-2021-2022/
la Marche de la mort , ce n est pas nous qui avons donné ce nom-là. Et puis, dans ces wagons ouverts, je me souviens parfaitement parce que j étais le dernier à être compté, j étais le 161e dans ce wagon ouvert, il n y avait pas assez de place pour chacun. Au bout d un certain temps, le train une fois parti, eh bien comme nous étions les uns sur les autres, je me souviens, moi, avoir fait la planche sur une mer humaine, véritablement. Pour résister. Et le train roulait, roulait, roulait. On ne savait pas où on allait. C est après qu on a appris que les SS, ne sachant pas où déverser nos cadavres, cherchaient des camps susceptibles de nous recevoir. J ai su que l on s était arrêté devant le camp de Buchenwald, que l on s était arrêté devant le camp de Mau- thausen. Puis ensuite, on s est arrêté à un certain moment à Prague. On a continué comme ça et un jour, on est arrivé à Dora, où on est sorti. Et j ai commencé à travailler dans ce camp. Mais très vite, les Alliés se sont rapprochés et il y a eu une nouvelle émigration. On a été évacué vers le nord et on est arrivé à Bergen-Belsen, non pas le Bergen-Belsen d Anne Frank, mais la caserne militaire. Et c est là que nous avons été libérés par les Anglais, le 15 avril 1945. Je veux surtout insister sur le fait que le 27 janvier 1945, jour de la libération du camp d Auschwitz, ce n était pas la libération des camps. C est le début seulement puisque le 27 janvier nous étions, nous déjà, nous qui étions dans Auschwitz et dans les kommandos environnants, eh bien nous étions sur les routes enneigées depuis le 18 janvier. » Haïm Vidal Sephiha, spécialiste du judéo- espagnol, « Déportation et marche de la mort, un témoignage », Tsafon, n° 73, 2017
finale » intervient alors que simultanément, le 22 juin 1944, l Armée rouge déclenche une gigan- tesque offensive, l opération Bagration. Celle-ci marque le début d une inéluctable avancée. En quelques jours, les Soviétiques achèvent de libé- rer la Biélorussie et l Ukraine et pénètrent sur le territoire polonais, s approchant alors des fron- tières orientales du Reich. Dans le même temps, à l Ouest, les Alliés prennent pied sur le continent avec le débarquement de Normandie. Débute alors une série de transferts de prisonniers depuis Auschwitz à destination des KL à l intérieur du pays : entre début juillet et fin novembre 1944, 97 000 détenus sont transférés par des dizaines de convois. Le mois d octobre constitue un véritable tournant dans l histoire du camp : alors qu on achemine encore, depuis l Europe entière, 39 000 personnes à Auschwitz en septembre 1944, ce chiffre tombe à 6 000 le mois suivant, révélateur de la redirection vers d autres camps des dépor- tations qui se poursuivent malgré tout. Lorsque, le 12 janvier 1945, l Armée rouge reprend sa marche en avant à travers le territoire polo- nais, déclenchant une nouvelle offensive, il reste environ 67 000 prisonniers dans les trois camps principaux d Auschwitz. Et, le 17 janvier, 58 000 détenus sont jetés sur les routes, entamant à leur tour les « marches de la mort » vers les camps installés au sein même du Reich.
TÉMOIGNAGE DE HAÏM VIDAL SEPHIHA (1923-2019) DÉPORTÉ À AUSCHWITZ EN MARS 1943 « Le 18 janvier, nous partions sur les routes et nous ne savions pas qu à ce moment-là le grand massacre allait commencer car, en réalité, tous les camps de Silésie avaient été vidés de leurs survivants, puisque nous étions des survivants, il ne faut pas l oublier. Et on nous envoyait dans la neige, la neige jusqu aux genoux, marchant des journées entières. La première partie de cette évacuation, c est ce qu on a appelé plus tard
Hélène Persitz (1912-2006)
Hélène Vestermans est née le 4 août 1912 en Lettonie. Le 4 novembre 1941, elle épouse en France Alexandre Persitz. À Nice, le couple est arrêté le 22 mars 1944, sur dénonciation puis transféré à Drancy, et déporté par le convoi n° 71 vers Auschwitz le 13 avril 1944. À l arri- vée, Hélène est sélectionnée pour le travail. Elle est désignée comme interprète, grâce à ses connaissances du russe et de l allemand. Auschwitz est évacué le 18 janvier 1945, à l ap- proche des troupes soviétiques. Quelques jours plus tard, en Haute-Silésie, elle est embarquée dans des wagons de marchandise sans toit, sans ravitaillement et sans eau. Arrivée au camp de Ravensbrück le 11 février 1945, elle est transfé- rée au camp de Malchow. Le camp est évacué à l approche des armées alliées. Elle est libérée le 2 mai dans le village de Luebz par les Amé- ricains. Rapatriée via la Belgique et Lille, elle arrive à Paris le 16 mai 1945. Elle retrouve son mari, revenu de son côté une semaine plus tôt.
Jorge Semprun (1923-2011)
Fils d une famille de républicains espagnols réfugiés en France en 1939, Jorge Semprun est au lycée Henri-IV à Paris pendant l Occupa- tion. Militant communiste, il rejoint les rangs du mouvement de résistance des FTP-MOI et devient membre d un réseau de renseignement. Arrêté par les Allemands en 1943, il est envoyé à Compiègne d où il est déporté le 27 janvier 1944 à Buchenwald. Il prend part à l organisation de la résistance clan- destine mise sur pied par les communistes et est affecté dans l un des services de l administration : il est chargé, entre autres, d organiser les activités culturelles des détenus à Buchenwald, notamment espagnols. Parmi les nombreuses personnalités déportées à Buchenwald qu il côtoie figurent Maurice Halbwachs et Henri Maspero, tous deux professeurs au Collège de France, qui succombent au camp. Jorge Semprun survit et consacrera plu- sieurs récits à son expérience concentrationnaire. « J allais en effet rendre visite à Maurice Halbwachs et essayer, une nouvelle fois, de retrouver mon jeune Musulman français dans la baraque des latrines collectives. [ ] Mais ce jour-là Maurice Halbwachs n était pas capable de réagir à mes questions, de participer à une conversation. Nous étions à la fin du mois de décembre 1944, il ne mourrait que des semaines plus tard, à la mi-mars 1945, mais il avait déjà sombré dans une immobilité somnolente, ataraxique. » Jorge Semprun, Le mort qu il faut, Paris, Gallimard, coll. Folio, 2001.
▲ Léon Delarbre, Le transport de Dora à Bergen, avril 1945. Ce trajet à travers l Allemagne dura cinq jours et quatre nuits dans la pluie et le froid. © Musée de la Résistance et de la Déportation, Besançon
▲ © Mémorial de la Shoah.